Critique littéraire sur… les livres interdits! 3 de 3 : La Révolution racialiste (et autres virus idéologiques)

Ce livre de Mathieu Bock-Côté s’aligne dans la suite logique de « L’empire du politiquement correct ». Je suis presque surprise que Bock-Côté n’ait pas été totalement jeté aux lions et retiré de toute conversation publique tellement il dit ce qu’il pense, sans même tenter de mitiger son propos. La dédicace au début du livre donne immédiatement le ton à l’ouvrage : À mon père […], fier Québécois, à qui ne viendrait jamais à l’esprit l’idée de s’excuser d’exister.

Tout d’abord, ce troisième livre de ma série des livres interdits est décidément le plus aisé à lire, plus fluide (j’ai même dû me retenir pour ne pas le lire trop rapidement, voulant absorber chaque section avant de passer à la suivante). J’ai mis quelques références pour certains commentaires, mais je ne pouvais pas toutes les mettre ; j’aurais eu des dizaines de liens rattachés à l’article. Je vous invite donc à faire vos propres recherches ou, mieux encore, vous procurer La révolution racialiste pour vous forger une opinion bien à vous.

Mais, avant de commencer, qu’est-ce qu’un woke, puisque cet ouvrage traite de cette tangente que nous vivons (subissons) depuis quelque temps autant sur les volets politique, médiatique et académique (et qui ne montre aucun signe d’essoufflement) ? Selon l’Office québécois de la langue française, le « mouvement woke » est un « mouvement qui prône une sensibilisation accrue à la justice sociale ainsi qu’un engagement actif dans la lutte contre la discrimination et les inégalités ». Dans l’usage général du français, il sert à désigner « une personne dont le militantisme s’inscrit dans une idéologie de gauche radicale, qui est structurée en fonction de questions identitaires (liées à la race, mais aussi au genre, à l’orientation sexuelle, etc.) » . Bien que ce soit tout de même que récemment que cette doctrine s’est imposée dans notre quotidien, elle s’est en fait échappée des universités américaines et il y a une vingtaine d’années.

Idéologie très noble à la base, si ce n’est qu’elle s’est développée en un mouvement d’extrême gauche demandant (exigeant) la décolonisation de l’Europe et de l’Amérique du Nord ; le seul fait d’être un Blanc dont les origines remontent à plusieurs générations fait automatiquement de nous un raciste, un privilégié, quelqu’un qui devrait avoir honte d’exister et qui devrait s’en excuser jusqu’à la flagellation. Plus encore, c’est nous qui devrions être considérés comme étrangers en notre pays, plus même que les immigrants qui viennent tout juste de s’installer. Bock-Côté explique comment — d’un point de vue woke — le vivre-ensemble est maintenant désuet et pourquoi le racisme envers le Blanc est acceptable, souhaitable, voire obligatoire, pour la survie de l’humanité avec un grand H. « L’homme blanc doit s’immoler symboliquement en se soumettant à un tribunal populaire improvisé ». Une déconstruction de la société est requise, le définancement voire l’abolition des forces de police nécessaire pour un nouveau vivre-ensemble utopique. Je paraphrase ici l’idée générale émise par des gens « sérieux » de la conversation publique. La discrimination positive a atteint un tournant dramatique où la ségrégation des gens sur le simple fait qu’ils sont Blancs est acceptable et encouragée [article]. Ce n’est plus simplement l’égalité que la gauche woke prône, mais bien une revanche historique sur les acteurs du présent, car une « violence institutionnelle contre les Blancs est nécessaire pour que progresse la diversité ». Il est désormais presque de bon ton « de reprocher à quelqu’un la couleur de sa peau au nom de l’antiracisme ». « L’abolition du système raciste passe par l’éradication de la blanchité occidentale ». Ce n’est pas de l’hystérie de la part de l’auteur, il suffit de lire et regarder ce qui se passe dans le monde occidental.

L’idée de l’universalisme (ne pas tenir compte de la couleur de la peau ou de la race des individus) qu’on nous inculquait lorsqu’on était jeune ne serait en fait qu’une utopie, voire un mensonge, qui ne sert que le Blanc pour se déculpabiliser et faire croire à une société ouverte… là encore, c’est une ligne de pensée digne d’Orwell. Comment le fait de séparer les gens par couleur comme une vulgaire pile de linge sale favorise-t-il le vivre-ensemble et l’harmonie ? Je ne vois que de la division, de la haine et du ressentiment. Est-ce que l’abolition de la race blanche est la solution ultime au racisme, comme les « antiracistes » le croient, le crient ? Comment ne serait-ce pas un génocide au même titre que les autres ? Nous sommes littéralement en plein délire.

Cette nouvelle tangente orwellienne me laisse avec beaucoup de questions… Comment une injustice faite sur des acteurs innocents du présent peut-elle réparer les torts du passé ? Pourquoi devrions-nous nous excuser de la couleur de notre peau, avoir honte de nos origines occidentales et nous haïr, comme si les erreurs du passé étaient les nôtres à porter sur nos épaules? [Publication Twitter de l’actrice Patricia Arquette]. Pourquoi serions-nous soudainement coupables d’actes que nous ne cautionnons pas simplement parce que des Blancs ont commis des injustices dans le passé ? C’est carrément une vengeance par procuration. Est-ce qu’on fait monter sur l’échafaud les descendants d’un tueur ou d’un violeur décédé parce qu’il nous est impossible de le punir directement ? Est-ce que nos actions présentes n’ont aucun poids?

Quand je vois des documents de recherches comme A Pathway to Equitable Math Instruction —Dismantling Racism in Mathematics Instructions (traduction : Une voie vers l’enseignement équitable des mathématiques —Démanteler le racisme dans l’enseignement des mathématiques) et Decolonizing Light —Repérer et contrer le colonialisme en physique contemporaine, je me demande si je ne suis pas entrée dans un épisode de La quatrième dimension. Même chose lorsque je vois des wokes monter aux barricades parce qu’une actrice a osé jouer une sorcière ne possédant que trois doigts [article]… c’est être offensé que pour le principe de s’offenser. À ce compte-là, je vais m’offenser de toutes les fois où, au cinéma et dans les séries télé, ils insinuent que les gens se rongeant les ongles sont tous les névrosés psychopathes puisqu’en fait on souffre d’onychophagie.

Et dans les autres virus idéologiques touchés par le wokisme, il y a les concepts de la diversité sexuelle. Être cisgenre est maintenant une tare, désigner son enfant comme garçon ou fille est l’équivalent d’un traumatisme en devenir pour ce dernier, se décrire comme père et mère est complètement dépassé et rétrograde, et s’avouer hétérosexuel devrait être honteux. J’exagère à peine. Un organisme destiné aux enfants transgenres assimile même à un discours haineux l’ancrage de l’identité sexuelle dans la biologie. Je suis très heureuse qu’il y ait maintenant des sites d’information complète sur l’identité des genres pour les jeunes ; ce n’est pas tous les parents qui sont ouverts à avoir un enfant se définissant autrement, on le sait trop bien, et des ressources sérieuses sont nécessaires. Mais sommes-nous obligés d’aller, encore une fois, vers l’extrême et de nous empêcher d’appeler garçon ou fille un enfant se sentant bien dans son corps, comme si renier son identité biologique était le geste d’affranchissement existentiel ultime ?

Un point que je ne partage pas du discours de Bock-Côté est celui de l’immigration comme facteur aggravant de cette révolution racialiste. De mon point de vue, la source du problème n’est pas là (mais peut-être suis-je simplement naïve ?). C’est que le wokisme victimise tous les immigrants en simples racisés qui doivent s’élever contre la suprématie blanche, comme si le Blanc voulait les détruire, les réduire à néant, les asservir, tandis qu’au fond, en tant que peuple, nous ne leur demandons qu’une assimilation et une intégration de base aux codes culturels nationaux. C’est tout simplement du respect envers le pays d’accueil. S’ils ont décidé de partir de leurs contrées, c’est pour un idéal quelconque que nous pouvons leur offrir ; cette offre va de pair avec la culture intrinsèque du pays hôte. Comme le dit si bien Bock-Côté, « il importe de renouer avec la notion de peuple. Un peuple n’est pas une race : on peut y adhérer. On peut s’y fondre. On peut embrasser son destin et s’y intégrer, s’y assimiler ».

Je n’ai jamais été aussi contente d’avoir choisi de ne pas avoir d’enfant, car comment lui expliquer l’inclusion et la tolérance devant les actions et commentaires radicaux de l’extrême gauche qui a envahi presque tous les niveaux de la société occidentale ? Pourquoi faut-il toujours aller dans les extrêmes et devoir absolument désigner un coupable et persécuter les autres au lieu de tenter de vivre en harmonie ? « Le racialisme sépare et exclut, il n’apporte pas de libertés quoi qu’en disent ses hérauts, et, plus dangereux, modélise une manière de penser le monde ». En résumé, on veut faire table rase du passé, se délivrer de l’Histoire, déconstruire pour « mieux » reconstruire une société plus moderne reflétant les saveurs du jour. Car il ne faut pas se laisser berner : ce qui est acceptable et souhaitable aujourd’hui ne le sera plus demain ; c’est le propre de l’humanité, toujours insatisfaite. Est-ce que ce sera pour nous, un jour, qu’un premier ministre vomira de plates excuses et versera quelques larmes de crocodile devant des caméras lorsque la francophonie en Amérique aura été anéantie ?

Critique littéraire sur… les livres interdits! 2 de 3 : L’empire du politiquement correct

À la suite de mon expérience de lecture de Nègres blancs d’Amérique, j’anticipais avec une certaine crainte ma lecture de Mathieu Bock-Côté, ayant soudainement un doute sur ma capacité intellectuelle à lire ce genre d’ouvrage. Quel soulagement de voir qu’il n’en est rien (en fait, presque rien… on ne se mentira pas quand même, un dictionnaire est de rigueur !). L’auteur explique obligatoirement certains principes philosophiques, mais de façon structurée et (relativement) simple. Lors de la lecture du premier chapitre, je ne pouvais m’empêcher de penser à 1984 de Georges Orwell, livre auquel je pense souvent. Et voilà, soudainement, l’auteur en fait mention (à plusieurs reprises d’ailleurs au cours du livre) ! Sincèrement, je suggère très fortement de lire 1984 avant de lire L’empire du politiquement correct. Le parallèle que nous expose Bock-Côté entre la réalité du « bienpensant » d’aujourd’hui et celle de l’œuvre d’Orwell de 1958 (un visionnaire) est troublant.

Vient ensuite le chapitre concernant le clivage gauche-droite et tout ce que cela comporte. Il cite certes des philosophes, mais sans insister trop sur le sujet. J’ai trouvé ce chapitre très intéressant, surtout quand on tente d’appliquer le système gauche-droite à sa propre ligne de pensée. Je me permets ici quelques extraits :

« Le clivage gauche-droite se renouvelle […]. Sans cesse, il change d’objet, sans cesse il s’empare d’une nouvelle question à partir de laquelle il divisera la société en deux, en marquant un camp positivement et l’autre négativement. Surtout, d’une époque à l’autre, le clivage gauche-droite peut se déplacer d’une thématique générale à une autre, en se définissant d’abord par l’économie, le social et aujourd’hui, par l’identitaire et le sociétal. »

« Par ailleurs, on constate qu’un homme hier marqué au centre droit passera aujourd’hui à droite, et demain peut-être même à l’extrême-droite, par le simple déplacement du point de gravité idéologique de l’espace public vers la gauche. »

« Être de gauche consiste à avoir raison même lorsqu’on a tort, parce qu’on se trompe alors pour de justes raisons. Être de droite consiste à avoir tort même lorsqu’on a eu raison, car on aura eu raison pour des raisons idéologiques inadmissibles, intraduisibles dans la logique de l’émancipation. »

« Il en est de même de la liberté d’expression dont la défense ne devient légitime qu’une fois qu’elle est reprise par la gauche. En fait, il faut qu’un terme passe à gauche pour devenir légitime […] pour qu’il devienne digne de considération et soit admis dans la conversation publique. »

Malheureusement, le politiquement correct nous force à choisir un camp défini, sans aucune nuance. Nous faisons soit partie des justes soit des vilains. On passe de l’un à l’autre, sans que notre pensée ait réellement changé, car on nous déporte au gré des changements du jour.

Bock-Côté a bien su cerner adéquatement l’arrogance complaisante du Canada qui se considère maintenant, par sa politique du multiculturalisme extrême, non seulement comme le meilleur pays du monde, mais également comme le représentant de la prochaine étape dans l’histoire de l’humanité.

« […] l’identité national serait un refuge imaginaire qu’il faudrait déconstruire pour que s’expriment enfin des sociétés plurielles. La trace du peuple devrait être effacée pour qu’on ne la retrouve plus. »

En fait, toute réalité historique relativement au peuple est considérée comme racisme, point final. C’est le multiculturalisme total ou rien du tout. Les zones grises sont proscrites. Comme le dit l’auteur (je résume ici librement son propos qui s’étend sur plusieurs sous-sections), le politiquement correct s’est « scientifiquement » radicalisé, déclarant que toute civilisation, peu importe les barbaries qu’elle commet contre les droits de l’homme, est conforme au droit de sa propre identité, contrairement à ce qui concerne les civilisations européenne et américaine, qui n’ont de droit que de s’effacer et de s’excuser bien bas d’exister, et dont l’identité est frappée « d’illégitimité congénitale ». La haine de l’Occident est acceptable, légitime et encouragée. La conscience historique des peuples occidentaux n’est rien d’autre qu’une entreprise exterminatrice à grande échelle, ce qui obligerait la civilisation occidentale à un repentir permanent.

J’ai trouvé qu’il y avait, à quelques endroits, un peu trop de référence à la France et à leurs philosophes et j’aurais aimé que ces passages soient plus axés sur ce qui se passe au Québec (et probablement qu’en retour, les Français diront qui s’y retrouve trop du Québec et du Canada et pas assez de la France !). Toutefois, cela s’explique probablement par le fait que, comme l’explique l’auteur, c’est en France que ce type débat identitaire est le plus intellectualisé. La majeure partie des autres chapitres traite plutôt de l’Amérique du Nord (en grande partie du moins).

Quelques sections étaient un peu trop philosophiques à mon gout ; elles alourdissaient le texte et tenaient plus du théorique que du concret, principalement le chapitre six (Le sentiment de la fin d’un monde ou la criminalisation de la nostalgie), qui était heureusement assez court. Cependant, c’est plutôt habituel pour un ouvrage de ce genre et ça ne m’a pas empêché d’apprécier la majeure partie de l’œuvre. Notez que je ne marque qu’ici que ma propre préférence.

Bien que ce livre soit pour monsieur et madame tout le monde (et les autres — restons politiquement corrects tout de même !) ayant un minimum d’éducation, ce n’est quand même pas une lecture légère. Cela dit, cet ouvrage dépeint bien notre réalité, où nos efforts pour éliminer toute forme de raciste ou de discrimination se sont transformés en intolérance. Le multiculturalisme qui devait pourtant nous rallier nous a ghettoïsés au sein d’une société où le racisme antiblanc est considéré non pas comme du racisme, mais comme un droit légitime. Une société où un traducteur blanc n’a pas le droit de traduire le poème d’une femme noire [article ici] — puisqu’il s’agirait là d’une appropriation culturelle —, où un dramaturge blanc n’a pas le droit de mettre en scène une pièce parlant d’esclavage [article ici], où une journaliste blanche ne peut pas mentionner le mot « nigger » (dans le cadre d’une citation) ou même mentionner le titre de l’œuvre « Nègres blancs d’Amérique » dans des réunions de travail [article ici], et plusieurs autres exemples dont certains cités par Bock-Côté, comme le retrait d’un cours de yoga par l’Université d’Ottawa, car cette activité constituerait de « l’appropriation culturelle » d’une pratique spirituelle de l’Inde [article ici]… Quand on dit que le ridicule ne tue pas…

Je me permets de sortir du contexte de cette critique pour citer Richard Martineau dans son article « L’obsession identitaire tue le vivre-ensemble » [article ici], une phrase qui résume bien la situation :

« On n’a jamais autant parlé de vivre-ensemble, mais on n’a jamais autant vécu séparés, chacun dans son coin. »

J’ai bon espoir qu’avec le temps tout le monde finira par mettre de l’eau dans son vin (sauf à la SAQ et au LCBO j’espère !) et comprendra que le vivre-ensemble n’est pas constitué de la haine de la majorité (qu’elle soit raciale ou identitaire), mais bien de l’abolition de toute forme de discrimination envers les autres sans pour autant éliminer toute forme d’attache culturelle ou identitaire. Il faut aller vers le futur sans tenter pour autant de détruire et de déconstruire le passé qui nous a forgés.

Je laisse le dernier mot à Mathieu Bock-Côté :

« Il importe […] de ramener la démocratie sur terre, de la reconstituer comme un espace de délibération dont les finalités ne sont pas prédéterminées par les gardiens autoproclamés du pensable et de l’acceptable. »