Onéreusement unique

Livres

* La graphie rectifiée est appliquée à ce texte.

Il y a eu cet été un débat sur le prix unique du livre afin d’aider les librairies du Québec à se maintenir à flot. L’enjeu : que le gouvernement vote une loi qui figerait les prix de toutes les nouveautés pour x mois (3 à 9 mois selon les intervenants) afin d’augmenter les ventes des petites librairies et de diminuer les ventes aux grandes surfaces comme Wal-Mart, Costco et Amazon, qui disposent de prix de volumes et peuvent se permettre des rabais plus généreux.

Sur papier, tout le monde est d’accord (même les consommateurs). Dans les faits, c’est encore le consommateur qui est le grand perdant, ensuite c’est l’auteur (qui ne reçoit généralement que 10 % de redevances sur les ventes) et finalement l’éditeur et la librairie. Comment viens-je à cette conclusion? Suivez-moi bien dans mon raisonnement, qui est avant tout celui d’une grande consommatrice de livres. Nous allons commencer par ce qui est des livres en format papier. Les livres sont déjà extrêmement dispendieux. Personnellement (lorsque je lisais encore des livres papier), je n’achetais jamais de nouveautés. J’attendais toujours les rabais. De plus, dans les dernières années, j’achetais des livres d’auteurs moins connus. J’avais souvent deux ou trois livres pour dix dollars. Est-ce que vous croyez sincèrement qu’il va se vendre le même nombre de livres s’il n’y a aucun rabais? Non. Les ventes de livres papier baisseront encore plus. Qui sont les vrais coupables du déclin des librairies ayant pignon sur rue (pas juste au Québec en passant)? Les voici :

  • les distributeurs en gros (Wal-Mart, Costco, Amazon)
  • les bibliothèques (même si personne n’ose jamais mentionné ce joueur de l’industrie)
  • les livres électroniques
  • les auteurs autoédités (surtout aux États-Unis et en Europe, car c’est encore mal vu au Québec)

Je vais débattre point par point à partir du bas (pour vous tenir éveillé!). Les auteurs autoédités ne peuvent généralement pas vendre leurs livres dans les librairies ayant pignon sur rue, ou même dans les librairies en ligne connues, comme Archambault pour n’en nommer qu’une. Un auteur indépendant ne peut pas offrir ses œuvres dans les bibliothèques, qui n’acceptent que les auteurs publiés par des éditeurs reconnus. Certains auteurs utilisent des éditeurs à compte d’auteur ou font affaire directement avec un imprimeur pour offrir des livres en version papier, mais à un prix très élevé puisque l’impression se fait généralement à la demande. Le meilleur allié de l’auteur indépendant : Amazon, qui lui permet d’offrir ses livres à 0,99 $ afin de bénéficier de l’effet de masse (livres moins chers = plus de ventes). Il n’a pas été spécifié clairement si ces auteurs indépendants seraient touchés ou non par une loi du prix unique, mais j’en doute puisqu’ils sont des parias au sein de l’industrie du livre au Québec. Point négatif pour moi : le Québécois moyen n’achète pas vraiment de livres électroniques sur Amazon, le format électronique ayant de la difficulté à prendre son envol.

Le livre électronique traditionnel (offert par les éditeurs reconnus) est-il réellement une menace pour le livre papier? Pas vraiment. Un livre électronique est vendu, au Québec, environ 70 % du prix du livre papier. C’est trop et c’est pourquoi le livre électronique dans le marché des VRAIS éditeurs ne monte pas vraiment, pas assez pour être une menace en tout cas. L’auteur ne reçoit pas plus d’argent, c’est l’éditeur qui s’en met plein les poches. Croyez-vous vraiment que je vais acheter un livre électronique à quinze ou seize dollars? Non. Pour ma part, je me suis rabattue sur les auteurs autoédités anglophones, tandis que ma belle-sœur emprunte des livres électroniques à la bibliothèque (elle n’en achète jamais), que mon père emprunte également des livres à la bibliothèque, mais en format papier… et que mon mari m’emprunte mes livres! Si vous regardez bien, ça fait peu de ventes, ça!

Ce qui nous amène au joueur dont on ne prononce jamais le nom dans ce débat : les bibliothèques. Comme je viens de vous le démontrer, beaucoup de gens empruntent des livres sans jamais en acheter, et ce, depuis des années (surtout dans les régions où les bibliothèques fleurissent). Je n’ai pourtant jamais entendu dire que ces institutions étaient une menace pour l’industrie du livre. Étrange. Je serais curieuse de faire un sondage à ce sujet.

Pour finir, nous avons les grandes surfaces. Ces géants à gros pouvoir d’achat vendent au rabais pour plusieurs industries (électroménagers, films, CDs, vêtements, etc.). Est-ce que ces autres industries demandent une loi spéciale pour les aider à rester à flot? Non, elles font des rabais (ou bien elles ferment les portes, c’est malheureusement le jeu de la concurrence). Peut-être que, si l’éditeur s’en mettait un peu moins dans les poches, les livres pourraient se vendre à un prix raisonnable. Est-ce que vingt-cinq dollars pour un livre de moins de deux-cent-cinquante pages vendu en librairies est raisonnable? Non, c’est décidément trop élevé. Est-ce que c’est de la concurrence déloyale? Non, c’est le jeu de la concurrence et je ne vois pas pourquoi l’industrie du livre aurait un passe-droit.

Les librairies pourraient se regrouper et créer une grosse entreprise centrale (dont ils auraient tous une part du gâteau) afin de pouvoir bénéficier des achats de masse et vendre au rabais. Les livres électroniques pourraient également être offerts à cinq dollars ou moins. Il y a des solutions pour améliorer les choses sans punir tout le monde en donnant un grand coup d’épée dans l’eau. Il faut arrêter de stagner et aller avec le mouvement. Ça s’appelle É.V.O.L.U.E.R.

Ça me brule la langue de le dire, mais je suis très heureuse que le gouvernement libéral ait envoyé aux oubliettes ce projet de loi provenant du Parti Québécois de Pauline Marois. Ce n’est cependant que partie remise à mon avis, et ce débat reviendra très certainement sur le tapis à un moment ou un autre.

Pour ma part, je refuse d’entrer dans le cirque : envoyer son manuscrit à des dizaines de maisons d’édition, attendre jusqu’à un an pour des réponses (lorsqu’il y en a), demander le retour (à ses frais) de ces manuscrits pour se rendre compte qu’il est évident qu’ils n’ont pas été lus, changer complètement son écriture (donc dénaturer son art) pour répondre à la demande commerciale et, en fin de compte, ne recevoir que 10 % du fruit des ventes (et ce n’est pas parce que votre livre parait dans tous les Archambault qu’il ne sera pas retourné pour destruction au bout de trois mois pour faire place aux nouveautés). Je l’avoue, j’aimerais vendre des centaines de copies, que les gens me disent que ce que je fais est bon, qu’ils m’aident dans ma démarche en parlant de moi à leurs amis et leurs familles, etc. J’ai cependant décidé que si je regardais que les côtés négatifs, j’arrêterais de faire ce que j’aime vraiment : écrire. Donc j’écris ce qui me plait avec un style d’écriture propre à moi, je dépense plus d’argent que j’en fais dans cette aventure, mais au moins je suis satisfaite. Satisfaite de m’entêter et de ne pas lâcher sous prétexte que c’est inutile.

Au fond, qu’est-ce que la renommée? Il suffirait qu’un de mes livres soit sauvé de l’apocalypse pour devenir un des derniers vestiges de la civilisation et donc un trésor inestimable! Ce n’est pas pour rien que je suis auteure : j’ai une grande imagination!