L’autre jour, en voiture, j’ai eu une réflexion sur la mort. Probablement à la suite de la lecture d’un article quelconque. Il n’y a que ça dans les nouvelles, la violence et la mort sous toutes ses formes. L’humanité dans toute sa beauté.
Donc, je me suis demandé quelle serait la pire manière de mettre fin à ses jours.
La noyade? Il me semble que mourir asphyxiée par de l’eau remplaçant le précieux air de mes poumons ne serait pas une expérience des plus agréables. Est-ce que je nagerais le plus loin possible, jusqu’à épuisement, sachant très bien qu’aucun retour n’est envisageable? Est-ce que je prendrais une chaloupe, me rendant à l’endroit le plus creux du plan d’eau, pour me jeter par-dessus bord, les mains et les pieds solidement attachés? Ou bien, comme Virginia Wolf, aurais-je la volonté de tout bonnement me remplir les poches de roches et de m’enfoncer dans une rivière ou un lac, comme une simple promenade dans un parc? Imaginez la détermination que ça prend pour se laisser avaler par les eaux, sans même chercher à vider ses vêtements du poids qui nous entraine inexorablement sous la surface, vers le fond… le vrai. Est-ce je paniquerais à la dernière minute, tentant de remonter à l’air libre pour reprendre une généreuse bouffée d’air, en me disant que j’ai atteint le fond de mon désespoir, que je l’ai regardé bien dans les yeux et que je suis maintenant prête à affronter la vie? Est-ce, au contraire, je me laisserais docilement couler sous la surface, dans l’étendue silencieuse des eaux, regardant le soleil se refléter doucement à la surface, acceptant cette plénitude, ce calme, et prenant volontairement une dernière inspiration, acceptant mon sort paisiblement?
La pendaison? À moins de trouver un endroit assez haut pour se casser le cou en une mort instantanée (avec un peu de chance), il me semble que cette asphyxie totale ne soit pas trop affriolante. Est-ce que je tenterais à la dernière minute de m’accrocher à la corde, de défaire l’étreinte du lien enserrant mon cou, les pieds tentant bien malgré moi de remonter sur la chaise ou le banc ayant basculé d’un coup de pied fatidique? Est-ce je réaliserais que la personne qui me trouverait, probablement un proche, serait marquée à jamais par cette scène horrible? Ou, au contraire, serait-ce une déclaration, un pied de nez, au monde que ma vie a atteint son point de non-retour et que j’accepte de ne plus jamais avoir une autre inspiration, que la vue de la pièce se promenant de droite à gauche et de gauche à droite sera mon ultime vision?
Le saut de l’ange? Encore là, la perspective de me rendre compte, même pour une fraction de seconde, que tous les os de mon corps éclatent en mille morceaux ne m’inspire que peu d’envie. Est-ce que je choisirais l’immeuble le plus haut de la ville, pour avoir l’impression de la survoler une dernière fois? Est-ce que je choisirais un pont, avec la possibilité, si je ne meurs pas sur le coup, de me noyer très certainement de toute façon? Est-ce que je m’affolerais une fois que mes pieds auront quitté la surface, réalisant qu’aucun retour n’est possible, perdant ces précieuses dernières secondes en terreur extrême? Est-ce, au contraire, je savourerais ce moment, absorbant pour un instant la liberté de l’oiseau, la légèreté de mon cœur, les yeux rivés sur l’horizon, montrant bien que nous sommes si petits que la seule trace que je laisserai momentanément sera celle de mon corps désarticulé, éclaté au sol?
Comment vivrait-on nos dernières secondes de notre vie si on faisait le choix conscient d’y mettre fin? Aurions-nous la réflexion que nous avons fait, encore une fois, un mauvais choix de parcours, cette fois définitif? Ou serait-ce que nous sommes enfin en contrôle et que notre décès sera alors mieux réussi que notre existence transparente, inutile, futile?
Suffit de dire qu’aujourd’hui, j’ai songé à la mort en me disant que ces réflexions rhétoriques me faisaient encore plus apprécier la vie. Croyez que ce sont les pensées tordues d’une autrice déjantée si ça vous chante… et faites votre propre introspection sur le sujet sans en glisser un mot à personne, même pas à vous-mêmes, comme on tourne la page du journal quand les nouvelles du jour ne conviennent pas à notre humeur ou lorsqu’on s’impatiente sur la route parce que notre déplacement est ralenti par un accident. Comme diraient les Cowboys fringants : « Tellement pressé d’aller nulle part ».
J’aimerais enfin attirer votre attention sur une chanson (limite un poème) du chanteur canadien Forest Blakk, « Breathe ». Je me permets une traduction libre de ses paroles pour que vous en saisissiez toute la force :
RESPIRER
Aujourd’hui j’ai regardé combien de temps ça prend pour se noyer
Aujourd’hui j’ai regardé combien de temps ça prend pour se noyer
Combien de temps peut-on retenir notre respiration
Avant que l’on ne puisse plus du tout retenir notre souffle?
Combien de temps avant que nos poumons rendent l’âme?
Et le son qui comblait le vide
Se calme comme une souris à minuit
À la recherche de sa part du gâteau
Aujourd’hui je me suis tenu debout devant une fenêtre
Et je me suis imaginé ce que ce serait de voler
Non, je ne l’ai pas fait
J’ai imaginé ce que ce serait
De sauter à l’extérieur du cadre qui m’emprisonne à l’intérieur
Mais mon meilleur jugement m’a dit que ce ne serait pas très gentil
Si quelqu’un qui nous tiens à cœur nous trouvait
C’est la voix qui joue comme un enregistrement qui revient en arrière
En arrière
En arrière
Ce ne serait pas juste non plus pour un étranger
Aujourd’hui je me suis souvenu du jour où j’ai vu un homme
Sauter sur une autoroute lorsque j’avais à peine dix-sept ans
Les lumières des voitures de part et d’autre de l’autoroute
Au garde-à-vous
Regardant au loin
Attendant simplement que la route se libère
Et que le chemin vers le confort de leurs proches soit tracé
La mort est un inconvénient étrange et vide
Quand tu y penses vraiment
Il y a un visage vide
Qui trouve rapidement et brusquement sa voie vers tous les témoins d’un événement de cette ampleur
Ce n’est pas de l’empathie
Ce n’est pas de la sympathie
C’est une autoréflexion forcée plus intrinsèque et intégrale
Pourquoi quelqu’un ferait-il une telle chose?
Qu’est-ce qui peut pousser quelqu’un si bas?
Pourrais-je être poussé au fond du désespoir?
Est-ce que je pourrais être capable de sauter?
Il n’y a pas de place pour la douceur dans ces moments, saute
Il n’y a pas de temps à perdre dans ce moment-là, saute
Il n’est pas nécessaire de croire qu’il y ait eu un moment, saute
Soupirer, croire, se soulager en cet instant
Parce que je ne pourrais jamais être celui qui vit ce moment
Le pourrais-je? Saute
Aujourd’hui j’ai regardé combien de temps ça prend pour se noyer
Est-ce qu’on commence par retenir son souffle?
Est-ce qu’on expire tous ses problèmes et ses soucis
Avant de jeter nos pensées vers le fond
D’un endroit autrement vide, sous le seuil de pauvreté des pensées dépressives
Et la triste calamité d’une maison hantée que vous avez appelé votre foyer?
Je ne sais pas
Peut-être quelqu’un a-t-il une réponse
Mais pour l’instant, j’essaye toujours d’accepter le fait
Qu’aujourd’hui j’ai regardé combien de temps ça prend pour se noyer