Les lectures autorisées du clergé populaire

Censorship round

Je sors aujourd’hui de mon silence des derniers mois à la suite de la lecture d’un texte de Richard Martineau intitulé « Scoop : la fiction N’EST PAS la réalité », où il nous apprend que l’auteur Yvan Godbout (et son éditeur) fera prochainement face à la justice pour pornographie juvénile parce qu’il a décrit le viol d’une fillette dans l’un de ses romans. Vous trouverez également d’autres articles sur le sujet sur le web, dont « Pornographie juvénile : auteur et éditeur seront accusés » datant du mois de mars. Pour ceux qui ne le connaissent pas, Yvan Godbout est l’un des auteurs qui reprennent à la sauce horreur des contes pour enfants dans la série de livres « Les contes interdits ».

Étrangement, cette accusation des plus loufoques n’a pas été mise en première page dans les médias, ou trop peu. Nous avons tous entendu parler du drame énorme de la pauvre Safia qui s’habille en chienne à Jacques à un gala, les artistes ayant montés aux barricades comme si rien de plus important au monde n’existait (et je passe tous les articles insignifiants sur Occupation Double), mais j’ai à peine entendu parler du fait qu’un auteur de fiction (et d’horreur de surcroit) ne devrait écrire que sur les petites fleurs dansant au vent et les oiseaux chantonnant dans le ciel. Sans vouloir dénigrer qui que ce soit — puisque l’appréciation de l’art est une question de choix personnel — je vous apprends en grande primeur que ce n’est pas tout le monde qui veut lire du Marie Laberge.

Nous sommes donc revenus à l’époque où le clergé autorisait les lectures de ses ouailles, mais au lieu que ce clergé soit religieux, il est maintenant populaire.

Je crois que je devrais me mettre à la recherche d’un avocat-criminaliste, juste au cas où. Un des sujets principaux d’un de mes livres (Point de rupture) concerne l’abus sexuel d’une adolescente par son beau-père, décrit en détails. Une de mes nouvelles (Viande hachée) parle de la torture de deux personnes âgées avant que la grand-mère soit tuée, découpée en morceaux et réduite en viande hachée avant d’être servie comme plat de résistance à son pauvre mari, nourrit de force par son petit-fils (qui fini par le laisser de faire dévorer par les cochons de la ferme). Dans « Succès assuré », une pièce maitresse de mon recueil Divagations, une femme décrit comment elle ouvrira le ventre de sa collègue enceinte pour en sortir le fœtus et l’étranglée avec le cordon ombilical… pour ensuite assassinée tous ses collègues avec du cyanure. Et j’en passe d’autres, beaucoup d’autres.

Qu’attendent tous les auteurs du Québec (et leurs éditeurs) pour se mobiliser sur la place publique à grands cris, pour dénoncer le fait que nous devons maintenant respecter le code moral du clergé populaire, des petites madames qui s’excitent le poil des jambes en lisant « cinquante nuances de Grey » en cachette et qui ne comprennent pas que les livres de suspense et d’horreur ne sont pas dans la même catégorie que « La grosse femme d’à côté est enceinte » de Michel Tremblay ? Ce jugement fera jurisprudence et il est important pour la liberté d’expression, la liberté de l’art (sous toutes ses formes), qu’il soit rendu dans le bon sens et, malheureusement, seule une prise de position forte dans les médias pourra nous assurer que nous ne retournerons pas en arrière, à une époque où plusieurs œuvres étaient mises à l’index puisqu’elles ne respectaient pas les critères du clergé.

Nous vivons dans une société où les vrais criminels restent en liberté ou reçoivent des sentences bonbon, mais où les auteurs de fiction se retrouvent devant le tribunal pour avoir utilisé leur art. Comme le dit si bien Richard Martineau :

[nos petits lapins] veulent des œuvres d’art « positives » qui « élèvent » l’âme humaine. Comme les curés dans les années 1950 !

Je suis découragée — eh oui, dégoutée — de notre société de misère qui tape sur la tête des mauvaises personnes afin d’éviter de froisser ceux qui le méritent vraiment.