Critique littéraire sur… les livres interdits! 2 de 3 : L’empire du politiquement correct

À la suite de mon expérience de lecture de Nègres blancs d’Amérique, j’anticipais avec une certaine crainte ma lecture de Mathieu Bock-Côté, ayant soudainement un doute sur ma capacité intellectuelle à lire ce genre d’ouvrage. Quel soulagement de voir qu’il n’en est rien (en fait, presque rien… on ne se mentira pas quand même, un dictionnaire est de rigueur !). L’auteur explique obligatoirement certains principes philosophiques, mais de façon structurée et (relativement) simple. Lors de la lecture du premier chapitre, je ne pouvais m’empêcher de penser à 1984 de Georges Orwell, livre auquel je pense souvent. Et voilà, soudainement, l’auteur en fait mention (à plusieurs reprises d’ailleurs au cours du livre) ! Sincèrement, je suggère très fortement de lire 1984 avant de lire L’empire du politiquement correct. Le parallèle que nous expose Bock-Côté entre la réalité du « bienpensant » d’aujourd’hui et celle de l’œuvre d’Orwell de 1958 (un visionnaire) est troublant.

Vient ensuite le chapitre concernant le clivage gauche-droite et tout ce que cela comporte. Il cite certes des philosophes, mais sans insister trop sur le sujet. J’ai trouvé ce chapitre très intéressant, surtout quand on tente d’appliquer le système gauche-droite à sa propre ligne de pensée. Je me permets ici quelques extraits :

« Le clivage gauche-droite se renouvelle […]. Sans cesse, il change d’objet, sans cesse il s’empare d’une nouvelle question à partir de laquelle il divisera la société en deux, en marquant un camp positivement et l’autre négativement. Surtout, d’une époque à l’autre, le clivage gauche-droite peut se déplacer d’une thématique générale à une autre, en se définissant d’abord par l’économie, le social et aujourd’hui, par l’identitaire et le sociétal. »

« Par ailleurs, on constate qu’un homme hier marqué au centre droit passera aujourd’hui à droite, et demain peut-être même à l’extrême-droite, par le simple déplacement du point de gravité idéologique de l’espace public vers la gauche. »

« Être de gauche consiste à avoir raison même lorsqu’on a tort, parce qu’on se trompe alors pour de justes raisons. Être de droite consiste à avoir tort même lorsqu’on a eu raison, car on aura eu raison pour des raisons idéologiques inadmissibles, intraduisibles dans la logique de l’émancipation. »

« Il en est de même de la liberté d’expression dont la défense ne devient légitime qu’une fois qu’elle est reprise par la gauche. En fait, il faut qu’un terme passe à gauche pour devenir légitime […] pour qu’il devienne digne de considération et soit admis dans la conversation publique. »

Malheureusement, le politiquement correct nous force à choisir un camp défini, sans aucune nuance. Nous faisons soit partie des justes soit des vilains. On passe de l’un à l’autre, sans que notre pensée ait réellement changé, car on nous déporte au gré des changements du jour.

Bock-Côté a bien su cerner adéquatement l’arrogance complaisante du Canada qui se considère maintenant, par sa politique du multiculturalisme extrême, non seulement comme le meilleur pays du monde, mais également comme le représentant de la prochaine étape dans l’histoire de l’humanité.

« […] l’identité national serait un refuge imaginaire qu’il faudrait déconstruire pour que s’expriment enfin des sociétés plurielles. La trace du peuple devrait être effacée pour qu’on ne la retrouve plus. »

En fait, toute réalité historique relativement au peuple est considérée comme racisme, point final. C’est le multiculturalisme total ou rien du tout. Les zones grises sont proscrites. Comme le dit l’auteur (je résume ici librement son propos qui s’étend sur plusieurs sous-sections), le politiquement correct s’est « scientifiquement » radicalisé, déclarant que toute civilisation, peu importe les barbaries qu’elle commet contre les droits de l’homme, est conforme au droit de sa propre identité, contrairement à ce qui concerne les civilisations européenne et américaine, qui n’ont de droit que de s’effacer et de s’excuser bien bas d’exister, et dont l’identité est frappée « d’illégitimité congénitale ». La haine de l’Occident est acceptable, légitime et encouragée. La conscience historique des peuples occidentaux n’est rien d’autre qu’une entreprise exterminatrice à grande échelle, ce qui obligerait la civilisation occidentale à un repentir permanent.

J’ai trouvé qu’il y avait, à quelques endroits, un peu trop de référence à la France et à leurs philosophes et j’aurais aimé que ces passages soient plus axés sur ce qui se passe au Québec (et probablement qu’en retour, les Français diront qui s’y retrouve trop du Québec et du Canada et pas assez de la France !). Toutefois, cela s’explique probablement par le fait que, comme l’explique l’auteur, c’est en France que ce type débat identitaire est le plus intellectualisé. La majeure partie des autres chapitres traite plutôt de l’Amérique du Nord (en grande partie du moins).

Quelques sections étaient un peu trop philosophiques à mon gout ; elles alourdissaient le texte et tenaient plus du théorique que du concret, principalement le chapitre six (Le sentiment de la fin d’un monde ou la criminalisation de la nostalgie), qui était heureusement assez court. Cependant, c’est plutôt habituel pour un ouvrage de ce genre et ça ne m’a pas empêché d’apprécier la majeure partie de l’œuvre. Notez que je ne marque qu’ici que ma propre préférence.

Bien que ce livre soit pour monsieur et madame tout le monde (et les autres — restons politiquement corrects tout de même !) ayant un minimum d’éducation, ce n’est quand même pas une lecture légère. Cela dit, cet ouvrage dépeint bien notre réalité, où nos efforts pour éliminer toute forme de raciste ou de discrimination se sont transformés en intolérance. Le multiculturalisme qui devait pourtant nous rallier nous a ghettoïsés au sein d’une société où le racisme antiblanc est considéré non pas comme du racisme, mais comme un droit légitime. Une société où un traducteur blanc n’a pas le droit de traduire le poème d’une femme noire [article ici] — puisqu’il s’agirait là d’une appropriation culturelle —, où un dramaturge blanc n’a pas le droit de mettre en scène une pièce parlant d’esclavage [article ici], où une journaliste blanche ne peut pas mentionner le mot « nigger » (dans le cadre d’une citation) ou même mentionner le titre de l’œuvre « Nègres blancs d’Amérique » dans des réunions de travail [article ici], et plusieurs autres exemples dont certains cités par Bock-Côté, comme le retrait d’un cours de yoga par l’Université d’Ottawa, car cette activité constituerait de « l’appropriation culturelle » d’une pratique spirituelle de l’Inde [article ici]… Quand on dit que le ridicule ne tue pas…

Je me permets de sortir du contexte de cette critique pour citer Richard Martineau dans son article « L’obsession identitaire tue le vivre-ensemble » [article ici], une phrase qui résume bien la situation :

« On n’a jamais autant parlé de vivre-ensemble, mais on n’a jamais autant vécu séparés, chacun dans son coin. »

J’ai bon espoir qu’avec le temps tout le monde finira par mettre de l’eau dans son vin (sauf à la SAQ et au LCBO j’espère !) et comprendra que le vivre-ensemble n’est pas constitué de la haine de la majorité (qu’elle soit raciale ou identitaire), mais bien de l’abolition de toute forme de discrimination envers les autres sans pour autant éliminer toute forme d’attache culturelle ou identitaire. Il faut aller vers le futur sans tenter pour autant de détruire et de déconstruire le passé qui nous a forgés.

Je laisse le dernier mot à Mathieu Bock-Côté :

« Il importe […] de ramener la démocratie sur terre, de la reconstituer comme un espace de délibération dont les finalités ne sont pas prédéterminées par les gardiens autoproclamés du pensable et de l’acceptable. »