Critique littéraire – Prix du récit Radio-Canada 2016

Critique - Lauréats prix de la nouvelle

Source: ici.radio-canada.ca

Je sais, le prix du récit Radio-Canada a été décerné à la mi-septembre 2016. Toutefois, je préfère toujours prendre quelques semaines voire mois avant de me prononcer sur les textes gagnants. Ma première lecture n’est pas toujours la bonne : je préfère relire le tout quelque temps plus tard, pour voir si mon état d’esprit et mon opinion ont changé.

Je vous invite à cliquer sur le titre de chaque histoire pour aller lire le texte complet.

Le réfrigérateur (Cynthia Massé – Gagnante)

Bon… je ne vous parlerai pas de ma première lecture puisqu’elle m’a presque fait promettre de ne plus tenter de participer à ce concours (en fait, j’ai vraiment hésité à envoyer mon dernier texte au concours de nouvelles de Radio-Canada — dont les gagnants seront dévoilés en 2017 —, de plus en sachant que Biz en était l’un des juges). Je n’ai pas presque battu en retraite parce que je crois que je n’arrive pas à la cheville des participants (il ne faut pas non plus se vautrer dans la fausse modestie), mais bien parce que c’est décourageant de voir ce genre de texte en haut du podium. Ce qui m’a le plus dérangée (à part le fait que le texte était décousu et sans fluidité) ce fut le fait que les textes soumis au Prix du récit doivent être des faits vécus, ce qui n’est pas totalement le cas ici. D’un point de vue pragmatique et cartésien, ça me surprendrait grandement que la colocataire dont il est question ici se soit véritablement cachée dans le frigo pendant des jours. À ma deuxième lecture, j’ai toutefois accepté la métaphore (bien qu’assez grossière) de bonne grâce en me disant que c’était tout de même politiquement correct (et que j’en vois un oser dire que je ne fais jamais de concessions, hein ?). L’auteure a exposé, quand même avec adresse, la compulsion maladive d’une personne souffrant de troubles alimentaires en rédigeant un paragraphe rapide et sans ponctuation (donc sans pause), ce qui était en soit une bonne idée. Toutefois, elle aurait pu le faire avec un exemple plus logique qui ne fait pas passer les filles souffrant de troubles de ce genre pour des cinglées mures pour la camisole de force et une belle petite chambre capitonnée. Remarquez que « l’équilibrée » de l’histoire n’est pas mieux en versant son contenant de lait sur ses fruits qu’elle a cachés dans le fond de la garde-robe. S’il y a une métaphore à cette action, elle m’élude complètement, et ce, après plusieurs lectures. Je comprends qu’elle voulait vider le frigo pour s’y cacher… mais pourquoi faire un tel dégât ? L’ajout de titres de paragraphe aide heureusement à nous retrouver dans ce texte qui passe du coq à l’âne. Certains passages, comme le paragraphe nommé « Biocommunicationologie », semblent être du pur remplissage. L’auteure aurait probablement pu en dire plus sur le sujet principal au lieu de divaguer complètement. Donc, selon moi, un texte qui ne méritait pas du tout d’être en finale et encore moins le grand gagnant.

Grand-père et capitaine (Yann Fortier)

Dans mon cœur, c’est le grand gagnant. Un texte bien écrit, qui se suit bien. Une plume qui nous fait entrer dans l’univers d’un grand-père (en l’occurrence, le sien), qu’il dépeint si bien qu’on le voit. On comprend et compatis de tout notre cœur à sa dure recherche de l’objet sacré, nécessaire au bonheur complet du vieil homme. On devient aussi obsessif que l’auteur dans sa quête. On pousse un cri de soulagement lors que le but, qui semblait si simple au départ, est finalement atteint. De plus, on en apprend un peu plus sur la marine canadienne et on se rappelle de « bons » souvenirs avec les plaisirs de la recherche AVANT l’époque de l’internet. On vit ce qu’il a vécu comme si nous y étions ; nous y participons presque. De l’émotion, du suspense, un brin d’humour pour pimenter le tout… quoi demander de plus ?

La fille qui veut marcher sur la lune (Philippe Garon)

Le premier mot qu’il me vient : pénible. On dirait que l’auteur a acheté un voyage de point (à la ligne) dans une vente chez Costco. Tu peux faire des phrases courtes pour montrer un empressement, une certaine finalité nue. Tu peux faire une phrase d’un mot (même si, théoriquement, ce n’est pas une phrase). Je vous en conjure. Ne. Pas. Le faire. Pour. Tout un texte. Vous voyez combien c’est agaçant ! Le type voulait faire une histoire de dix pages, mais bon, le concours ne permet qu’un maximum de 1800 mots. Aucun problème : on coupe dans le gras. Il aurait pu faire un texte aussi dynamique en harmonisant un peu plus les passages. Déjà que d’enlever son paragraphe sur « Chambre en ville » aurait donné de la place à quelques articles et verbes additionnels. Vous l’aurez deviné, un texte que je n’ai pas aimé et dont je considère la seule présence comme finaliste du concours comme une usurpation, puisqu’il a volé la place d’un autre texte qui était très certainement excellent.

La chasse à la biche (Bianca Joubert)

Un texte poignant et touchant qui ne nous laisse pas indifférents. Un récit qui nous trotte dans la tête de temps à autre par la suite, en pensant aux pauvres filles de là-bas. Un destin qui aurait pu être tragique pour trois jeunes femmes canadiennes. Et si, se dit-on parfois. C’est le cas ici. L’histoire se passe en 1993, mais ça n’a pas changé, j’en suis certaine. Si ce n’est pas Ciudad Juárez, c’est une autre ville, un autre pays. Les femmes : proies idéales depuis la nuit des temps. On nous promet l’égalité, mais notre sexe sera toujours notre faiblesse. Marchandises on était, marchandises nous resterons. Un texte qui, dans sa structure et son sujet, mérite pleinement sa place dans le palmarès. Lui aussi j’aurais aimé le voir en haut du podium.

Souvenir de Catatonie (Hugo Léger)

Un texte d’une beauté douloureuse. Ici, c’est le bon exemple des phrases très courtes utilisées de temps à autre pour exprimer une pensée avec précision, sans flafla. L’auteur nous fait voyager en Catatonie, le pays de la maladie mentale. Ses métaphores sont sublimes et percutantes. C’est troublant de trouver belle une histoire si tragique. Une maladie qui pourrait toucher n’importe quel d’entre nous, une histoire qui pourrait être la nôtre. La Catatonie ouvre ses frontières toutes grandes aux gens malades… mais elle ne délivre pas de visa de sortie aussi facilement ; comme dans une bureaucratie gouvernementale, on doit se battre pour l’obtenir. On ne peut pas mettre tous les textes sur la première marche du podium, mais ce texte-ci y mériterait toutefois une place tout en haut.

CONCLUSION

C’est connu, c’est pratiquement toujours le texte le plus étrange et le moins structuré qui gagne à ces concours Radio-Canadiens. Malheureusement et à mon avis, être original n’est pas toujours le signe d’une bonne écriture. J’ai souvent l’impression que les juges oublient que c’est ce dont il est question ici : d’écriture. Le cas de l’originalité primée est souvent synonyme de snobisme : « C’est bizarre, décousu, sans structure… ce type doit être un génie ! ». On a qu’à penser à Picasso, un des rares peintres devenus riches de son vivant (je mets au défi qui que ce soit de me dire que ce qu’il faisait était beau ! Original et différent, certes, mais joli ? Il ne faut quand même pas pousser le bouchon trop loin). Mais bon, on dit que l’art ne se discute pas.

Bonne lecture!

* La graphie rectifiée est appliquée à ce texte.