Poème : Détresse numérologique

Détresse numérologique

Vingt-trois. C’est l’axe de la terre, le nombre de chromosomes donnés par chaque parent, le rythme biologique de l’homme.

Vingt-trois. C’est l’âge où je rencontrai le prince charmant. Le moment où ma vie morne se transforma en rayon de lumière. Le chant des oiseaux fut plus intense, l’arôme des fleurs plus prononcé. Mon existence sembla soudainement avoir un sens : celui de l’aimer.

Vingt-trois. C’est le nombre de semaines requises pour que notre relation s’épanouisse, le temps nécessaire à l’homme de ma vie pour qu’il fasse sa grande demande, un genou au sol et une bague ornée d’un diamant étincelant à la main. Mon cœur se remplit de joie, les larmes firent briller mes yeux. Le bonheur était total.

Vingt-trois. C’est le nombre de mois que dura notre lune de miel, cette période où rien n’existe en dehors de l’être aimé, notre nouvelle moitié. On fait l’amour comme si le temps s’était arrêté, comme si les autres n’existaient plus. On est heureux.

Vingt-trois. C’est le jour du mois où je reçus ma première gifle, la date à laquelle mon château de cartes s’effondra et où mon conte de fées prit fin.

Vingt-trois. C’est le nombre d’années que dura mon enfer, où la peur fut masquée par le désir de lui plaire et de redevenir la jeune femme qui valait la peine d’être aimée.

Vingt-trois. C’est le nombre de coups de couteau que je lui donnai, un pour chaque année volée. C’est le nombre de minutes qu’il prit à se vider de son sang dans la baignoire et c’est le nombre de morceaux résultant de sa découpe, avant de finir dans la fosse septique… de vingt-trois mètres cubes.

Vingt-trois. C’est le prix de la bouteille de vin rouge que je me payai pour fêter ma libération.

Poème : Le cadeau d’adieu

Le cadeau d'adieu

Inspire…

L’odeur doucereuse emplit mes narines.

La peur me quitte.

Mon cœur s’emballe.

La joie me submerge.

Expire…

Le marteau et le ciseau de maçon me sourient.

Ils sont fiers, ils sont heureux.

Leur but est atteint.

Leur tâche est accomplie.

Inspire…

Ma curiosité n’en peut plus.

Elle doit voir.

Elle doit savoir.

Elle doit sentir.

Expire…

Ma main tremble.

Non pas de peur…

mais de fébrilité.

De concupiscence.

Inspire…

J’arrête mon geste.

Je suis maintenant effrayée.

Je passe de l’autre côté du miroir.

Le désir m’enflamme.

Expire…

Elle est la belle au bois dormant.

Elle est Blanche-Neige.

Elle est endormie…

pour toujours.

Inspire…

Je la regarde.

Si belle et délicate.

Si jeune et parfaite…

si morte.

Expire…

Les effluves métalliques me soulent.

Je n’en peux plus.

Je m’embrase.

Je succombe.

Inspire…

Je deviens quelqu’un d’autre.

Je me métamorphose.

Papillon quittant sa chrysalide…

sa prison.

Expire…

Je ne peux plus combattre.

La pulsion l’emporte.

Je plonge la main.

Je tue mon âme.

Inspire…

Ma main est chaude et rouge.

Mes doigts sont poisseux et sanglants.

Je les lèche goulument.

Il était en elle… et elle est maintenant en moi.

Expire…

J’écarte les pans de sa chair

auxquels des os cassés sont toujours rattachés.

Un couteau apparait dans ma main.

Je dois finir le travail.

Inspire…

Quelques secondes sont passées,

à peine quelques respirations,

depuis le dernier souffle de la belle,

la désirable, la douce… l’hypocrite.

Souffle bloqué…

J’entends ses pas approchés, je souris.

Il voulait tout d’elle : son corps, sa passion…

son amour.

Expire…

Je retire rapidement l’organe

de la cage thoracique défoncée.

Il entre et n’y comprend rien.

L’horreur est peinte sur ses traits.

Inspire…

« Bonjour mon chéri », lui dis-je,

avant d’éclater d’un rire dément.

Il voulait tout d’elle : je lui offre donc son cœur…

en guise de cadeau d’adieu!

NOTE : Le personnage principal de ce texte est Julie, l’auteure disjonctée de la nouvelle « Succès Assuré » (recueil « Divagations »).

* La  graphie rectifiée est appliquée à ce texte.

Nouvelle : Bananes, stylos et quoi encore?

Bananes, stylos et quoi encore

Les deux hommes se trouvant en compagnie de l’excentrique Hector Gervais se retournèrent comme un seul homme, stupéfaits. Le quatrième individu, Maxime Bouchard, ne fit pas un geste. Il lui aurait été difficile d’en faire autrement puisqu’il était raide mort. La musique et la vibration, provenant du téléphone cellulaire collé fermement à la tempe droite du défunt à l’aide de ruban adhésif, se firent entendre. Personne ne se retourna. C’était le même manège toutes les minutes depuis leur arrivée dans les égouts municipaux de la rue Wellington, tout juste au pied du Parlement d’Ottawa. Le mort, un blogueur politique au Huffington Post, se trouvait aussi pendu que sa langue, les yeux recouverts par un foulard de soie rouge. Il ballottait dans le vide à quelques centimètres du sol, nu comme un ver, le cou solidement attaché à l’aide d’une corde à un des barreaux de l’échelle menant dans les bas-fonds malodorants de la ville. On était peut-être au beau milieu de la zone touristique de la capitale nationale, mais aucune visite guidée ne se faisait à cet endroit. Le médecin légiste venait tout juste de retirer le ruban gommé se trouvant sur la bouche de la victime pour y trouver, contre toute attente, le permis de conduire et la carte de crédit du défunt lorsque Hector avait fait sa fracassante assertion. Le détective soupira lourdement : ses collègues n’avaient aucune imagination. Ils ne possédaient qu’une froide et monotone logique. Avec l’air de supériorité du professeur faisant face à des cancres, il se décida à leur faire bénéficier de son savoir :

― Comme je le disais, ce n’est pas un meurtre. C’est une asphyxie auto-érotique qui a mal tourné. C’est simple : en manque de sensation forte, il décide de mettre un peu de danger dans sa vie sexuelle désaxée. Puisqu’il vit toujours chez sa mère, et je dois dire qu’à trente et un ans c’est plutôt décourageant, il décide de s’octroyer une visite nocturne sous l’objet même de sa critique constante, c’est-à-dire le Parlement. Il descend par le trou d’homme en catimini, se déplace à plus de cent mètres dans l’eau stagnante avant de trouver un petit endroit sec pour y déposer ses vêtements. Il retourne à l’échelle, attache sa corde et la passe autour de son cou. Par peur de se faire voler, il sécurise ses cartes dans sa bouche afin qu’elles ne tombent pas inopinément pendant sa partie de fesses en l’air avec lui-même. Il met l’alarme de son cellulaire pour qu’elle sonne toutes les minutes au cas où il s’évanouirait. Il se bande les yeux afin d’augmenter la dépravation sensorielle et il se laisse lentement descendre, tout en gardant au moins un pied sur un barreau, laissant l’asphyxie l’amener à l’euphorie. Manque de bol, l’hypoxie qui s’en suit lui fait perdre connaissance et il perd pied. Affaibli, il est incapable de se sortir de sa fâcheuse position. Et voilà!

― Tu n’es pas sérieux, là, Gervais? demanda l’autre détective, pantois.

― J’oubliais! L’autopsie révèlera probablement des traces de drogue, GHB ou ectasie, utilisée afin d’augmenter son nirvana rocambolesque.

― C’est le troisième cas de mort étrange en cinq mois, dit le médecin légiste. Une mort par surdose de bananes et un meurtre à l’aide d’une vingtaine de stylos. C’est fou!

― Avec Internet, mon cher, il n’y a plus rien qui m’étonne! s’exclama Hector. Bon, ce n’est pas que je m’ennuie, mais je vous laisse à votre travail de croque-mort.

Le vaudevillesque détective s’approcha prestement du mort et lui enleva dare-dare le foulard de soie rouge, sous les yeux ahuris de ses collègues. D’un geste théâtral, il l’enroula autour de son cou avant de s’enfoncer dans la sombre et nauséabonde canalisation. Il ne lui restait plus qu’à mettre en scène deux ou trois autres décès loufoques avant de pouvoir publier un mémoire sur ses enquêtes les plus mémorables et prendre une retraite confortable. Ce n’est pas de ma faute!, se dit-il, tout en marchant d’un pas léger sans se soucier des rats lui ouvrant la marche, c’est tellement ennuyant une ville de fonctionnaires! Un peu de piquant n’a jamais fait de mal à personne après tout!

Mention spéciale du Jury au concours de polar MonBestSeller

Défi : Nouvelle policière – maximum absolu de 3 450 caractères – Volet régional obligatoire

Nouvelle : Le saut de l’ange*

Source: Coolxnalara - DeviantArt

Source: Coolxnalara – DeviantArt

Le temps était soudainement en suspens. Entre le moment où je fus poussée dans le dos et celui où mes pieds quittèrent le tablier du pont, la trotteuse sembla prendre une petite vacance. Je commençai mon saut de l’ange en me disant que la rivière noire ressemblait plus à un miroir de marbre qu’à de l’eau… ce n’était pas bon signe. Je pensai rapidement à ce qui m’avait amenée vers cette fatidique seconde, et je me dis : « Mais pourquoi ai-je donc liké Camille Britton ? »

Deux semaines plus tôt…

Ce soir-là, j’étais toute peinarde dans ma chambre, comme une duchesse négligemment étendue sur ses coussins de soie, ma tablette au bout des doigts. Les mioches étaient dans leur chambre, deux petits morveux qui n’avaient pas arrêté de crier depuis l’heure du souper. Leur père, à qui j’osais à peine à attribuer la dénomination de « mari » tant il était à des années-lumière de ma propre existence, était bêtement affalé devant un match de foot. Je surfais sur Facebook, tentant de me changer les idées lorsqu’une demande d’amitié apparut en haut de la page, telle une bouée jetée providentiellement à la rescousse de mon esprit s’enfonçant dans les eaux tumultueuses de l’ennui. Je ne connaissais pas cette « Camille Britton », mais son avatar de petit chat mignon m’attira. Je connaissais tellement de gens, il était possible que ce soit une amie d’une amie (ou bien une des poufiasses du secondaire ayant oublié toutes les humiliations qu’elle m’avait si gentiment fait subir). Curieuse, j’allai sur sa page afin de connaitre un peu plus l’animal que j’avais ajouté à ma bassecour. Il y avait un beau petit post disant « aimez ma page et gagnez une nouvelle vie ». Une nouvelle vie, rien de moins ! À ce point-ci, à part vendre mon corps sur le coin d’une rue (et encore là !), j’étais prête à faire n’importe quoi pour me sentir à nouveau vivante. Sans trop y penser, je fis comme il m’était demandé et je passai à un autre appel. Je me couchai en me faisant des scénarios du prix à gagner : un million de dollars, un voyage à Hawaii, une croisière à l’autre bout du monde, une nouvelle identité… un tueur à gages pour mon sportif de salon. Je m’endormis, recroquevillée de mon côté du lit, en rêvant à toutes les possibilités qui s’offraient à moi.

Le lendemain, je ne pensais déjà plus à cet étrange concours lorsque je reçus un message privé :

« Bravo ! Vous avez gagné une nouvelle vie. Veuillez trouver ci-joint un questionnaire à répondre le plus honnêtement possible. »

Je savais ce que cachaient ces petits stratagèmes : je me retrouverais avec un abonnement à Weight Watchers, enregistrée auprès de l’Église de scientologie ou bien abonnée à une revue existentielle quelconque. Je me dis que, puisque je connaissais les risques, je saurais éviter les pièges. De plus, je pourrais m’amuser un peu aux dépens de ce (ou cette) supposé Camille Britton. On verrait bien qui était le plus futé !

Q1 : Que voulez-vous changer ? R1 : ma vie (c’est ce que vous m’avez promis, non ?)

Q2 : De quoi avez-vous peur ? R2 : des hauteurs.

Q3 : Quel est votre souhait le plus cher ? R3 : voler comme un oiseau.

Q4 : Que craignez-vous dans la vie ? R4 : la solitude.

Q5 : De quoi avez-vous besoin ? R5 : de solitude.

Je riais à l’intérieur de moi-même : je mettais volontairement mes réponses en contradiction. Je me demandais bien vers quel entubage je serais dirigée. Je finis ce sondage à la con et retournai à mes casseroles : je devais quand même nourrir les êtres inutiles vivant sous mon toit. J’aurais bien retourné deux d’entre eux d’où ils venaient (non pas dans mon utérus, mais bien dans les couilles de leur père) et j’aurais sorti ladite nullité sur deux pattes de ma vie à coups de pied au derrière. Dans les jours qui suivirent, j’allai souvent vérifier ma messagerie Facebook sans trouver aucune réponse de Camille Britton. J’étais assez fière d’avoir eu le dernier mot. Décidément, on me prenait vraiment pour une ménagère sans cervelle !

Je ravalai ma bravade une semaine plus tard, lorsque je trouvai un colis sous mon porche. Il était sommairement empaqueté dans du papier kraft, comme une vulgaire pièce de viande. Je mis mon oreille au paquet : non, aucun « tictac » suspect. J’examinai l’emballage plus attentivement : aucune adresse de l’expéditeur… aucun timbre non plus. J’ouvris avec précaution le paquet pour y trouver deux guides sur la découverte de soi et une carte, que j’ouvris avec circonspection.

« Votre collaboration fut grandement appréciée. Veuillez trouver ci-joint un petit coup de pouce pour achever la mise en place de votre prix. Amicalement, Camille. »

À l’intérieur de ladite carte, je trouvai un billet d’avion et une réservation d’hôtel pour la Provence. Je me demandais si je n’aurais pas intérêt à aviser daredare les autorités : c’était assurément un stratagème pour piéger de pauvres femmes dans les méandres du trafic humain. Je n’étais pourtant plus une petite poulette de dix-huit ans, ce fraudeur aurait dû le réaliser en lisant mon profil, que diable! Je mis le tout dans mon tiroir de chambre et retournai à ma besogne : je devais me préparer, car ce soir c’était mon anniversaire et mon cher mari m’inviterait très certainement au restaurant et au cinéma. Cliché, je sais, mais je ne sortais pratiquement jamais. Ce petit écart du traintrain quotidien m’était suffisant. Toutefois, ce soir-là, j’eus droit à un oubli complet de mon anniversaire tandis que ma mauviette s’installa au salon avec ses amis pour un match de foot. Le lendemain, je fis ma valise, laissai un mot disant : « Je n’en peux plus, je prends des vacances. Je t’appelle dans quelques jours » et partis à l’aventure.

Et c’est comme ça que je me retrouvai perchée sur le bord du pont d’Artuby, un harnais entre les jambes et un élastique démesuré attaché aux chevilles. Les détails de l’étonnant rendez-vous avaient été laissés à mon hôtel, et je fus accueilli sur le lieu de ma bêtise par une équipe se disant envoyée par Camille Britton. Tandis que j’atteignais le bout de mon câble et que je rebondis, semblant voler comme un oiseau, je me sentis enfin libre et légère, pour la première fois depuis des années. À cet instant, je sus pourquoi j’avais liké Camille Britton : pour me prouver que je pouvais aller au bout de mes possibilités, que rien n’était hors de portée aussi longtemps que j’aurai le gout de vivre et que la peur de l’inconnu serait un concept à oublier à l’avenir. Maintenant, je savais ce que je devais faire. Je n’avais pas encore atteint la moitié de ma vie : il était temps de vivre à plein la seconde moitié.

Mais au fait, me demandais-je encore, qui est Camille Britton ?

* Ce texte est conforme à la graphie rectifiée.