« Encore aujourd’hui, il m’est difficile d’expliquer comment notre relation s’est développée si rapidement, et de quelle manière L. a pu, en l’espace de quelques mois, occuper une place dans ma vie. L. exerçait sur moi une véritable fascination. L. m’étonnait, m’amusait, m’intriguait. M’intimidait. […] L. exerçais sur moi une douce emprise, intime et troublante, don j’ignorais la cause et la portée. »
Commentaire précritique
Ce qui est le plus intriguant à propos de ce livre, que j’ai lu en format poche, est : comment diable s’est-il ramassé dans une boite de plastique à la cave, où je garde seulement quelques livres en format papier (je donne habituellement mes livres soit à la donation du village les dépose dans diverses boites à livres) ? Premièrement, ce n’est pas du tout mon genre de lecture habituel et je ne connaissais pas du tout cette autrice française. La seule option qui m’est venue à l’esprit est qu’il provient d’une voisine de mon père, qui lui donne parfois des livres pour moi pour une raison inconnue. Pourquoi l’ai-je gardé ? Ça, c’est une bonne question. Peut-être est-ce parce qu’il était écrit en caractères assez gros pour un livre de poche (je me suis débarrassée de plusieurs livres, car les caractères étaient décidément trop petits ; je vieillis mes ami·e·s !).
Critique
Je suis très heureuse d’être passée outre le fait que ce livre, présenté comme une autofiction[1], me sortait de ma zone de confort. L’écriture de l’autrice est simple et complète à la fois, laissant couler les mots avec une facilité déconcertante et très plaisante. J’ai même souligné plusieurs passages qui sont venus me chercher pour une raison ou une autre (reproduits à la fin de ce texte). L’histoire d’une femme, qui se sent comme un imposteur, autant en tant que personne qu’en tant qu’autrice. Pour une fois, un livre qui parle de l’emprise d’une personne sur une autre, mais du point de vue de l’amitié soudaine et improbable entre deux femmes au lieu d’une histoire romantique qui tourne au cauchemar. Bien que je n’aie jamais été populaire en tant qu’autrice, j’ai tout de même publié sept romans et plusieurs histoires ; n’en déplaise à plusieurs, je me sentais donc très concernée par l’histoire de cette autrice, désormais incapable d’écrire une seule ligne, moi qui ai abandonné l’écriture après la publication de « Malaimés », le dernier tome de ma trilogie policière. Je me sentais aussi un lien avec cette femme qui se trouve inadéquate sur plusieurs points, admirant celles qui semblent savoir où elles vont et qui elles sont avec facilité, et dont le charme et la sophistication semblent couler naturellement au lieu d’être une bataille constante.
Avertissement : divulgâcheur
Je suis incapable de donner mon opinion complète sur ce livre sans mentionner des éléments qui vendront la mèche ; donc, si vous êtes intéressés par ce roman — que je conseille fortement d’ailleurs — mais que vous ne voulez pas en savoir trop, ARRÊTEZ-VOUS ICI !
Donc, je croyais en cette autofiction, en cette autrice qui avait perdu l’inspiration et qui avait rencontré, par hasard, une femme rapidement devenue une amie qui semble lui vouloir du bien, mais qui s’immisce dans sa vie à son corps défendant. Une manipulation psychologique comme on peut le voir souvent entre un homme et une femme, mais qui survient ici entre deux femmes liées par l’amitié et la passion de l’écriture et non pas par l’amour et la romance. Plus ma lecture avançait, plus je pensais à « Misery » de Stephen King… et vlan, aux deux tiers du livre, un chapitre qui commence par une citation provenant de cette œuvre. Ensuite, l’histoire devient si disproportionnée, l’emprise de L. — l’amie machiavélique — si forte, que je commence à avoir des doutes quant à la véracité de cette histoire qui, je vous le rappelle, s’intitule « D’après une histoire vraie ». Et là, je pense à « La part des ténèbres », toujours de Stephen King. Est-ce que cette amie, cette fameuse L., existe vraiment ? Est-ce l’autrice qui fabule ? L’a-t-elle inventée de toute pièce afin de justifier son incapacité à écrire, à interagir avec ses amis, à passer outre son blocage artistique et, quelque part, par-dessus sa culpabilité d’avoir écrit un bestseller basé sur une histoire vraie, le succès qui la paralyse désormais ? Dans le livre, on revient souvent à la définition réelle d’une histoire vraie, surtout vers la fin. Et là, on comprend (en tout cas, moi j’ai compris) : toute cette partie concernant L. est complètement fausse et seul le blocage littéraire après le succès de l’autrice est réel. Elle s’est servi de ses angoisses et de ses lectures pour écrire « une histoire vraie » qui n’en ait qu’une qu’en surface. J’aurais pu me sentir trahie et trompée après ma lecture, lorsque j’ai parcouru le web pour voir si j’avais bien saisi l’essence de ce livre au titre fallacieux. Mais non, j’ai salué l’ingéniosité de l’autrice, son audace, et je l’ai silencieusement remerciée pour tous les points de réflexion qu’elle m’a fournis tout au long de ma lecture. Qu’est-ce qu’une histoire vraie au fond ? Car, au fond, toute part de livre a quelque chose se rapportant à nous. On écrit avec notre expérience de vie, avec nos connaissances, avec nos peurs, avec nos espoirs et nos doutes. Quelque part, un livre fictif contient toujours une part de vérité, non ?
* Citations
« Aujourd’hui, je sais que ce n’est pas seulement une affaire de disponibilité, mais plutôt de genre, quel genre de femme l’on choisit d’être, si tant est qu’on ait le choix. »
« […] j’ai gardé, je crois, ce regard sur les femmes : une réminiscence de ce désir d’être une autre qui m’a si longtemps habituée. Un regard qui va chercher, chez chacun des femmes que je croise, ce qu’il y a de plus beau, de plus trouble, de plus lumineux. »
« C’était la rentrée. L’heure des fournitures neuves et des bonnes résolutions. Ce moment du commencement ou du recommencement. »
« Ce livre était un aboutissement, une fin en soi. Ou plutôt un seuil infranchissable, un point au-delà duquel on ne pouvait pas aller, en tout cas pas par moi. Après, il n’y aurait rien. La fameuse histoire du plafond de verre, du seuil d’incompétence. […] j’avais, sans le savoir, écrit mon dernier livre. Un livre au-delà duquel il n’y avait rien, au-delà duquel rien ne pouvait s’écrire. »
« Ton livre caché, mois je sais ce que c’est. […] Si tu ne l’écris pas, c’est lui qui te rattrapera. »
« […] pouvons être totalement dupes d’un livre qui se donnerait à lire comme la vérité et ne serait qu’invention, travestissement, imagination. […] Multiplier les effets de réel pour faire croire que ce qu’il raconte a eu lieu. »
« D’ailleurs, ce pourrait être un projet littéraire, écrire un livre entier qui se donnerait à lire comme une histoire vraie, un livre soi-disant inspiré de faits réels, mais dont tout, ou presque, serait inventé. »
[1] D’après le dictionnaire Larousse, « l’autofiction est une autobiographie qui emprunte les formes narratives de la fiction ». L’autofiction est donc un genre littéraire qui consiste à parler de soi, à l’instar d’une autobiographie, mais en romançant sa propre histoire.
«Plutôt que de toucher le fond de l’ignorance et de l’ennui, les routiers goûtent à un plaisir de nos jours interdit: prendre le temps d’être avec soi. Aller au fond des choses. Ils savent un secret très ancien: celui de la durée.»
De novembre 1975 à octobre 1976, Serge Bouchard a voyagé avec des camionneurs dans le Nord-Ouest québécois. Son but: étudier et observer leur travail pour en faire le sujet de sa thèse de doctorat. Serge Bouchard et Mark Fortier ont transformé la matière de cette recherche ethnographique unique en un portrait vivant et pénétrant du monde des routiers.
Il y est question de mouvement, de routes et de béton, mais aussi des célèbres «truck stops» où domine le personnage de la «waitress», de marginalité, d’infini, de solitude, d’accidents et, surtout, du plaisir d’être camionneur. Le regard de Serge Bouchard transforme la machine et son chauffeur en véritables personnages. Chacun a son histoire, ses cicatrices, son usure, sa musique. On peut parler comme un camion, avec une grosse voix tranquille, de la même manière que les conteurs innus savent parler comme un ours.
Ce livre nous entraîne bien au-delà des routes du Nord à l’époque des grands chantiers de la Baie-James. Il nous parle des mystères de la vie, de la liberté et de la création.
Avant-propos
Ce livre m’a été prêté par mon père, un camionneur retraité. Je croyais tout savoir (ou presque) de mon paternel – après avoir écrit un livre sur sa jeunesse, on l’aurait cru! (Doux souvenirs au temps de Duplessis), mais j’ai découvert au fil d’une conversation qu’il gardait toujours un petit jardin secret, qu’il dévoile au gré de sa fantaisie (petit coquin!). Donc, mon cher père m’a avoué qu’il avait travaillé comme camionneur à la Baie James dans les années soixante, avant que le projet de barrages comme tel commence. Durant notre conversation, il m’a donc prêté ce livre et un autre sur la Baie James (dont je ne ferai toutefois pas la critique).
Critique de l’œuvre
Bravo aux auteurs, (feu) Serge Bouchard, anthropologue, et Mark Fortier, sociologue. À deux, ils ont su extraire judicieusement d’une thèse de doctorat complexe écrite il y a une quarantaine d’années un livre à savourer, que vous soyez camionneurs ou bien un membre de la famille de l’un de ces derniers (ou simplement si le sujet vous intéresse). Ce livre a été publié il y a quelques années seulement, mais on ne sent rien d’anachronique, le phénomène du « truckeur » étant en quelque sorte intemporel.
Ce livre fait l’éloge de ces hommes (eh oui, à l’époque il n’y avait pas de femmes dans le domaine!) dédiés à leur mastodonte et à la route, qu’elle soit en asphalte, en gravier ou en terre battue, sous le soleil, la pluie ou la neige. Plusieurs passages pourtant terre à terre ont quelque chose de poétique. Un court extrait en exemple :
Si la solitude n’était pas pour lui une source d’autonomie et de solidarité, si son isolement ne le plongeait pas dans de profondes méditations, si l’idée du travail n’était pas chez lui celle d’accomplir des prouesses, s’il n’éprouvait pas une véritable joie à conduire sa machine, l’indépendance du truckeur ne serait qu’une illusion désolante. Une fausse conscience. Une tromperie qui masquerait les sacrifices et les souffrances de son travail. Le camionneur serait tombé dans un traquenard : se croyant libre, il serait un força. Il purgerait à son insu une peine de travaux forcés dans une prison rutilante.
N’est-ce pas bien dit?
Pour avoir accompagné mon père à quelque reprise sur la route, j’ai reconnu son comportement en entrant dans un « truck stop » se trouvant sur sa « run » : une familiarité avec l’endroit qui devient, quelque part, la maison loin de la maison le temps d’un repas sur le pouce. Le bon vieux temps où le camionneur, fier de son statut, arborait fièrement son nom ou le nom de son camion sur une plaque sur le nez de son mastodonte; où lui et ses congénères discutaient en « code » sur le CB, objet nécessaire pour rester connecter au reste du monde.
Ce livre comporte également de nombreuses anecdotes de camionneurs routiers, qui rend le tout plus intime. Je suis certaine que, une fois que vous aurez lu ce livre, vous ne direz plus « maudit camion! » sur la route et que vous y penserez à deux fois avant de manquer de respect envers ceux qui, par leur travail acharné, nous permettent, encore aujourd’hui, de ne manquer de rien. Ils sont les rois du bitume; démontrez votre déférence en ayant de la courtoisie envers eux sur la route. Vous y êtes peut-être pour un petit 15, 30 ou 60 minutes, mais eux y passent 10 à 15 heures (et c’était encore plus à l’époque du livre, où les normes n’étaient pas encore établies… ou très peu respectée).
Je suis dans cette chapelle, avec ma femme et mes deux enfants, je regarde le prêtre faire son sermon, mais aucun son ne me parvient. Je m’appelle Josey Kowalsky et en me regardant observer les cercueils de ma femme et de ma fille, mon père comprend. Il comprend que là, au milieu de cette chapelle, son fils est mort. Il vient d’assister, impuissant, à la naissance d’un prédateur.
Critique de l’œuvre
C’était la première fois que je lisais un Mehdy Brunet, dont j’avais entendu parler sur un groupe Facebook consacré à la lecture. Le titre et le synopsis m’ont tout de suite accroché. C’était un livre qui semblait bien cerné la psychologie profonde d’un personnage troublé, comme sait d’ailleurs si bien le faire Patrick Senécal (ma référence en littérature francophone). D’ailleurs, la façon d’écrire, avec des phrases percutantes sans flafla, exprimées au présent, me rappelait un peu (je dis bien « un peu ») « Contre Dieu » de Senécal. J’appelle ça « écrire en urgence », sans enrober le tout de mousseline rose bien frisotée. Droit au but. Toutefois, le tout s’est quelque peu gâté lorsque le livre devint plus une quête pour trouver les coupables (parenthèse : un mécano père de famille et son père retraité qui deviennent soudainement des as de la surveillance et de l’exécution de criminels, wow !) sans nous plonger profondément dans les sentiments du mari et père éploré qui exerce sa juste vengeance (encore une fois, un peu comme la profondeur psychologique du personnage du père dans « Les sept jours du talion » de Senécal — eh oui, encore lui !). J’aurais aimé savoir ce qui se passe dans la tête de l’homme lorsqu’il sort de sa personnalité profonde pour torturer ces assassins impunis ; il semble que ses seuls « sentiments » soient de fumer comme une cheminée pour passer son anxiété et le stress. Le tout est rempli de filature en voiture, de petits lunchs pris sur le pouce, de petits hôtels pour dormir et non pas de la profondeur que je recherchais au départ en lisant le résumé du livre.
J’ai tout de même aimé ce roman qui ne contient pas de détails inutiles et dont la fin n’est pas si prévisible (bien que je m’en doutais un peu… probablement dû aux années de lecture de suspense derrière moi !), mais crédible.
À l’épilogue, je me suis rendu compte qu’un autre livre suivait ce dernier, mais je ne suis pas intéressée à le lire puisqu’il s’en va dans une direction que je ne recherchais pas en lisant « Sans raison ». Il se peut que mon opinion soit biaisée par la qualité de l’écriture de Senécal et que je considère les autres auteurs francophones du même genre que comme de piètres copies, sans apprécier leurs œuvres à leur juste valeur (phénomène de comparaison que je ne rencontre pas lorsque je lis des auteurs anglophones).
Quelques points de vente (au moment d’écrire cette critique)
Atteint d’une maladie cardiaque dégénérescente, Daniel Sullivan n’a plus que quelques heures à vivre. Dans sa chambre d’hôpital à Hartford, il rencontre celle venue le chercher. L’enfant refuse cependant de la suivre sans avoir rien connu de ce monde… […] Aux frontières du drame humain, du récit onirique et du conte, découvrez la fantastique odyssée d’un enfant aux côtés du plus incroyable des guides, la Mort en personne…
Critique de l’œuvre
Premièrement, que dire de la magnifique couverture, qui reflète exactement l’histoire qui nous est présentée ? Sublime !
Ce n’est pas la première fois que je lis un Alexis Arend, qui a décidément un don de sorcier en ce qui concerne la magie des mots. Il sait utiliser des figures de style qui sont courtes et efficaces nous plongeant à fond dans les scènes présentées et qui nous font ressentir les émotions des personnages comme si elles étaient les nôtres. Je me permets de reproduire deux exemples tirés de son livre :
Stacy déglutit et, se redressant en tremblant, parvint miraculeusement à ne pas s’effondrer en pleurs sous les yeux de son fils, ravalant tant bien que mal un sanglot lourd qui lui venait de très loin en elle, raclant chacune des cellules de son corps et charriant avec lui toute la peine à vif et toute la rage gorgée d’impuissance qui torturaient son cœur vaincu de mère et lessivaient son âme meurtrie.
Sentez-vous également dans vos tripes la douleur incommensurable de cette mère qui doit faire face à l’impossible, c’est-à-dire la mort inévitable de son enfant, et qui tente de rester forte à son corps défendant ?
Les réverbères de la grande artère de la ville, postés en sentinelles à intervalles réguliers en précieux remparts contre la nuit, postillonnaient dans le renfoncement constitué par cette étroite ruelle transversale une sorte de lueur jaunâtre, timorée, qui peinait à mordre dans ces ténèbres froides.
On sent la nuit, on sent le froid et la pluie, on sent le danger, non ? Tout ça en quelques lignes à peine.
Ce livre vient nous chercher dans la peine et la douleur du petit Danny qui va mourir, mais également dans l’extase qu’il vit auprès de la Mort, qui l’emmène faire un dernier voyage extraordinaire et significatif. Cela rappelle beaucoup Scrooge dans la dimension du voyage à travers le passé, le présent et le futur, mais aussi les répercussions d’une simple action à la Butterfly Effect. C’est un livre à dévorer du début à la fin pour rester dans l’élan et la profondeur de l’histoire. Vous l’aurez deviné, c’est également une œuvre à saveur fantastique (par exemple, La Mort vit en effet au bout de la galaxie habitable où elle s’assit sur un joli banc de pierre en compagnie du jeune Danny – une image projetée au bénéfice de son jeune compagnon de voyage, on le comprend bien). Toutefois — et même pour ceux qui, comme moi, ne sont généralement pas adeptes de ce genre littéraire —, l’histoire est si bien ficelée qu’on en oublie presque le volet fantastique. Ce n’est pas un livre d’action ou un suspense, mais bien une histoire douce et dure à la fois qui ne nous laisse pas indifférents.
Ce que je trouve toujours un peu rigolo d’Alexis, qui est Français, c’est le fait que ses livres se passent toujours aux États-Unis, mais qu’ils sont écrits avec les expressions de la France. Je dois dire que je ne lis plus de traductions de littérature étatsunienne depuis des années, donc je ne suis plus habituée à ce phénomène, j’imagine.
Ce livre de Mathieu Bock-Côté s’aligne dans la suite logique de « L’empire du politiquement correct ». Je suis presque surprise que Bock-Côté n’ait pas été totalement jeté aux lions et retiré de toute conversation publique tellement il dit ce qu’il pense, sans même tenter de mitiger son propos. La dédicace au début du livre donne immédiatement le ton à l’ouvrage : À mon père […], fier Québécois, à qui ne viendrait jamais à l’esprit l’idée de s’excuser d’exister.
Tout d’abord, ce troisième livre de ma série des livres interdits est décidément le plus aisé à lire, plus fluide (j’ai même dû me retenir pour ne pas le lire trop rapidement, voulant absorber chaque section avant de passer à la suivante). J’ai mis quelques références pour certains commentaires, mais je ne pouvais pas toutes les mettre ; j’aurais eu des dizaines de liens rattachés à l’article. Je vous invite donc à faire vos propres recherches ou, mieux encore, vous procurer La révolution racialiste pour vous forger une opinion bien à vous.
Mais, avant de commencer, qu’est-ce qu’un woke, puisque cet ouvrage traite de cette tangente que nous vivons (subissons) depuis quelque temps autant sur les volets politique, médiatique et académique (et qui ne montre aucun signe d’essoufflement) ? Selon l’Office québécois de la langue française, le « mouvement woke » est un « mouvement qui prône une sensibilisation accrue à la justice sociale ainsi qu’un engagement actif dans la lutte contre la discrimination et les inégalités ». Dans l’usage général du français, il sert à désigner « une personne dont le militantisme s’inscrit dans une idéologie de gauche radicale, qui est structurée en fonction de questions identitaires (liées à la race, mais aussi au genre, à l’orientation sexuelle, etc.) » . Bien que ce soit tout de même que récemment que cette doctrine s’est imposée dans notre quotidien, elle s’est en fait échappée des universités américaines et il y a une vingtaine d’années.
Idéologie très noble à la base, si ce n’est qu’elle s’est développée en un mouvement d’extrême gauche demandant (exigeant) la décolonisation de l’Europe et de l’Amérique du Nord ; le seul fait d’être un Blanc dont les origines remontent à plusieurs générations fait automatiquement de nous un raciste, un privilégié, quelqu’un qui devrait avoir honte d’exister et qui devrait s’en excuser jusqu’à la flagellation. Plus encore, c’est nous qui devrions être considérés comme étrangers en notre pays, plus même que les immigrants qui viennent tout juste de s’installer. Bock-Côté explique comment — d’un point de vue woke — le vivre-ensemble est maintenant désuet et pourquoi le racisme envers le Blanc est acceptable, souhaitable, voire obligatoire, pour la survie de l’humanité avec un grand H. « L’homme blanc doit s’immoler symboliquement en se soumettant à un tribunal populaire improvisé ». Une déconstruction de la société est requise, le définancement voire l’abolition des forces de police nécessaire pour un nouveau vivre-ensemble utopique. Je paraphrase ici l’idée générale émise par des gens « sérieux » de la conversation publique. La discrimination positive a atteint un tournant dramatique où la ségrégation des gens sur le simple fait qu’ils sont Blancs est acceptable et encouragée [article]. Ce n’est plus simplement l’égalité que la gauche woke prône, mais bien une revanche historique sur les acteurs du présent, car une « violence institutionnelle contre les Blancs est nécessaire pour que progresse la diversité ». Il est désormais presque de bon ton « de reprocher à quelqu’un la couleur de sa peau au nom de l’antiracisme ». « L’abolition du système raciste passe par l’éradication de la blanchité occidentale ». Ce n’est pas de l’hystérie de la part de l’auteur, il suffit de lire et regarder ce qui se passe dans le monde occidental.
L’idée de l’universalisme (ne pas tenir compte de la couleur de la peau ou de la race des individus) qu’on nous inculquait lorsqu’on était jeune ne serait en fait qu’une utopie, voire un mensonge, qui ne sert que le Blanc pour se déculpabiliser et faire croire à une société ouverte… là encore, c’est une ligne de pensée digne d’Orwell. Comment le fait de séparer les gens par couleur comme une vulgaire pile de linge sale favorise-t-il le vivre-ensemble et l’harmonie ? Je ne vois que de la division, de la haine et du ressentiment. Est-ce que l’abolition de la race blanche est la solution ultime au racisme, comme les « antiracistes » le croient, le crient ? Comment ne serait-ce pas un génocide au même titre que les autres ? Nous sommes littéralement en plein délire.
Cette nouvelle tangente orwellienne me laisse avec beaucoup de questions… Comment une injustice faite sur des acteurs innocents du présent peut-elle réparer les torts du passé ? Pourquoi devrions-nous nous excuser de la couleur de notre peau, avoir honte de nos origines occidentales et nous haïr, comme si les erreurs du passé étaient les nôtres à porter sur nos épaules? [Publication Twitter de l’actrice Patricia Arquette]. Pourquoi serions-nous soudainement coupables d’actes que nous ne cautionnons pas simplement parce que des Blancs ont commis des injustices dans le passé ? C’est carrément une vengeance par procuration. Est-ce qu’on fait monter sur l’échafaud les descendants d’un tueur ou d’un violeur décédé parce qu’il nous est impossible de le punir directement ? Est-ce que nos actions présentes n’ont aucun poids?
Quand je vois des documents de recherches comme A Pathway to Equitable Math Instruction —Dismantling Racism in Mathematics Instructions (traduction : Une voie vers l’enseignement équitable des mathématiques —Démanteler le racisme dans l’enseignement des mathématiques) et Decolonizing Light —Repérer et contrer le colonialisme en physique contemporaine, je me demande si je ne suis pas entrée dans un épisode de La quatrième dimension. Même chose lorsque je vois des wokes monter aux barricades parce qu’une actrice a osé jouer une sorcière ne possédant que trois doigts [article]… c’est être offensé que pour le principe de s’offenser. À ce compte-là, je vais m’offenser de toutes les fois où, au cinéma et dans les séries télé, ils insinuent que les gens se rongeant les ongles sont tous les névrosés psychopathes puisqu’en fait on souffre d’onychophagie.
Et dans les autres virus idéologiques touchés par le wokisme, il y a les concepts de la diversité sexuelle. Être cisgenre est maintenant une tare, désigner son enfant comme garçon ou fille est l’équivalent d’un traumatisme en devenir pour ce dernier, se décrire comme père et mère est complètement dépassé et rétrograde, et s’avouer hétérosexuel devrait être honteux. J’exagère à peine. Un organisme destiné aux enfants transgenres assimile même à un discours haineux l’ancrage de l’identité sexuelle dans la biologie. Je suis très heureuse qu’il y ait maintenant des sites d’information complète sur l’identité des genres pour les jeunes ; ce n’est pas tous les parents qui sont ouverts à avoir un enfant se définissant autrement, on le sait trop bien, et des ressources sérieuses sont nécessaires. Mais sommes-nous obligés d’aller, encore une fois, vers l’extrême et de nous empêcher d’appeler garçon ou fille un enfant se sentant bien dans son corps, comme si renier son identité biologique était le geste d’affranchissement existentiel ultime ?
Un point que je ne partage pas du discours de Bock-Côté est celui de l’immigration comme facteur aggravant de cette révolution racialiste. De mon point de vue, la source du problème n’est pas là (mais peut-être suis-je simplement naïve ?). C’est que le wokisme victimise tous les immigrants en simples racisés qui doivent s’élever contre la suprématie blanche, comme si le Blanc voulait les détruire, les réduire à néant, les asservir, tandis qu’au fond, en tant que peuple, nous ne leur demandons qu’une assimilation et une intégration de base aux codes culturels nationaux. C’est tout simplement du respect envers le pays d’accueil. S’ils ont décidé de partir de leurs contrées, c’est pour un idéal quelconque que nous pouvons leur offrir ; cette offre va de pair avec la culture intrinsèque du pays hôte. Comme le dit si bien Bock-Côté, « il importe de renouer avec la notion de peuple. Un peuple n’est pas une race : on peut y adhérer. On peut s’y fondre. On peut embrasser son destin et s’y intégrer, s’y assimiler ».
Je n’ai jamais été aussi contente d’avoir choisi de ne pas avoir d’enfant, car comment lui expliquer l’inclusion et la tolérance devant les actions et commentaires radicaux de l’extrême gauche qui a envahi presque tous les niveaux de la société occidentale ? Pourquoi faut-il toujours aller dans les extrêmes et devoir absolument désigner un coupable et persécuter les autres au lieu de tenter de vivre en harmonie ? « Le racialisme sépare et exclut, il n’apporte pas de libertés quoi qu’en disent ses hérauts, et, plus dangereux, modélise une manière de penser le monde ». En résumé, on veut faire table rase du passé, se délivrer de l’Histoire, déconstruire pour « mieux » reconstruire une société plus moderne reflétant les saveurs du jour. Car il ne faut pas se laisser berner : ce qui est acceptable et souhaitable aujourd’hui ne le sera plus demain ; c’est le propre de l’humanité, toujours insatisfaite. Est-ce que ce sera pour nous, un jour, qu’un premier ministre vomira de plates excuses et versera quelques larmes de crocodile devant des caméras lorsque la francophonie en Amérique aura été anéantie ?
J’ai écrit cette critique en janvier 2017 sans jamais la publier, car il semble que je l’avais oublié dans un petit coin de nuage. Puisqu’il n’est jamais trop tard pour bien faire, je vous l’offre aujourd’hui. Et, au fait, je viens de voir que la version papier est offerte à moins de 7 $ sur Amazon.ca (la version livrel n’était toujours pas offerte). Sautez sur l’offre !
Synopsis (Amazon)
En démarrant ce récit, je savais que les pages du génocide et du massacre de ma famille au Rwanda, en 1994, m’attendaient. Je savais qu’écrire cette douleur passée, c’était mettre des petites cuillerées de pili-pili sur la chair encore fraîche d’une plaie que je voulais à tout prix croire fermée. Et, sur le chemin de la rétrospective, j’ai trouvé d’autres plaies. Vives. Brûlantes. Ce livre, il m’aura fallu presque cinq ans pour le finir.
Pour la première fois, le chanteur Corneille revient sur le génocide rwandais, le miracle de sa survie, son espoir infaillible, ses rêves, l’immense succès qui a été le sien, mais aussi ce long recul, ces dernières années, qui lui a été indispensable pour renouer avec son histoire et ses racines.
Le récit poignant, porté par une écriture d’une rare poésie, d’un artiste, mais surtout d’un homme, à la recherche de sa vérité.
Critique de l’œuvre
C’est une histoire écrite avec humilité, honnêteté et sobriété. Si votre but en lisant le livre d’une personnalité publique est d’assister à un lavage de linge sale en famille, vous serez amèrement déçu. Le premier tiers est consacré à l’enfance de Corneille, qui est né en Allemagne et qui a déménagé au Rwanda à l’âge de six ans. Nous passons ensuite à son adolescence, à sa passion pour la musique et, bien sûr, à sa fuite du Rwanda à la suite du massacre de sa famille. Moments évidemment touchants du livre, où l’auteur nous invite à entrer dans ses souvenirs. Il décrit certes certaines situations graphiquement, mais de manière à la fois sobre et intime. Corneille nous dévoile son parcours professionnel, mais sans ne jamais se laisser prendre au jeu malsain des règlements de compte. Lorsqu’il nous parle de son chemin, de la route parcourue, c’est pour nous dévoiler les blessures profondes qui l’ont empêché d’être réellement heureux malgré son succès. Il nous parle de ses échecs, sans ne jamais blâmer directement qui que ce soit, à part peut-être lui-même, et de ses amours, sa belle Sofia et ses enfants. Il nous parle simplement, nous fait entrer dans ses pensées et partage avec nous ses dialogues fictifs avec son père décédé (qui lui fait toutefois la morale de temps à autre !). Tout au long de notre lecture, nous avons l’impression qu’un ami se confie à nous, en toute intimité. Il est évident (selon ma perspective, du moins) que l’auteur avait deux buts en écrivant ce livre : le premier était une sorte de thérapie, un exutoire, un peu dans le même ordre d’idée que de demander à un enfant de dessiner son cauchemar afin de l’enrayer pour de bon de ses nuits. Ensuite — et il le dit presque lui-même à mots à peine couverts — c’est de tenter de relancer sa carrière. Je ne serai certainement pas la seule à m’être procuré à la fois son livre et son disque le plus connu, « Parce qu’on vient de loin » (en fait, j’ai reçu les deux en cadeau à ma plus grande joie). Combien de gens achèteront ensuite une autre compilation, juste pour voir ? Un des objectifs était très certainement de faire parler de lui à nouveau dans les médias et, peut-être, de revoir certains de ses succès musicaux reprendre la route des ondes radio. Je ne le juge pas d’avoir eu recours à ce moyen pour remonter en popularité ; au moins, lui, contrairement à d’autres, a quelque chose à dire et il l’exprime avec brio. On ressort de cette lecture en nous disant que nous sommes très chanceux. Corneille nous montre que tout est possible, pourvu qu’on sache attraper les opportunités qui se présentent à nous. Il faut croire en nos rêves. Lorsque j’ai terminé le livre, ma première réflexion fut : « on dirait qu’il ne savait pas comment le finir… ». Toutefois, je me suis dit que c’était normal et même honnête envers nous, puisqu’il ne sait effectivement pas où il s’en va avec ce projet. Il ne sait pas ce qu’il veut vraiment faire ensuite. A-t-il tout dit en chanson ? Le showbizness est un métier difficile : tu es adulé et les fans se jettent à tes pieds le lundi, et tu te retrouves à faire de la musique dans un bar de cent personnes qui ne t’écoutent pas vraiment le vendredi. Je ne m’inquiète toutefois pas pour Corneille qui a une résilience certaine et qui, surtout, possède plusieurs cordes à son arc. Il le dit lui-même : il ne fera pas de meilleur disque que son premier et, lorsqu’on écoute des extraits des autres qui ont suivi, on ne peut qu’abonder en son sens. Le premier venait du cœur et des tripes ; les autres sont plus commerciaux et sans distinction particulière. Une belle voix, certes, mais il semble manquer une âme. Corneille nous prouve toutefois qu’il a un talent certain pour l’écriture, et il fera peut-être un jour le grand saut pour une œuvre de fiction, qui sait ?
Médium
Je me suis procuré la version papier (j’entends déjà les : « hein, ben là ! »). D’accord, je suis prolivrel*, mais je voulais mettre cet ouvrage dans ma bibliothèque « échec de l’humanité » et, de plus, il n’était pas offert en format Kindle (incroyable, mais vrai… et pas étonnant au Québec !). Donc, un livre aux pages crèmes et mattes, ce qui facilite la lecture puisque la lumière directe n’est pas reflétée sur la surface. Plusieurs belles pages de photographies sur papier glacé blanc. Couverture sobre comme je les aime (monochrome avec quelques écritures rouges, ce qui n’est pas sans rappeler mes propres couvertures). L’auteur a su jouer avec les types de caractères pour faire une démarcation claire entre les sections de narration et les parties où il dialogue virtuellement avec son père. Puisque c’est un livre de tout de même un peu plus de 300 pages, c’est difficile à tenir à une main tandis que l’autre doit s’occuper du chat ou bien attraper la tasse de thé, mais bon… je voulais juste le spécifier pour passer mon message qu’une liseuse c’est géniale !
Verdict
Un livre à se procurer illico si vous désirez en savoir plus sur le parcours de Corneille et sur sa vision face à la vie en général. Une œuvre qui vous pousse à la fois à l’introspection et à une ouverture sur le monde. Qu’est-ce qu’une augmentation de dix cents à la pompe comparée à des gens ne sachant même pas de quoi demain (ou les prochaines heures) sera fait ?
* Terme francophone pour e-book et e-reader selon l’Office de la langue française du Québec.
À la suite de mon expérience de lecture de Nègres blancs d’Amérique, j’anticipais avec une certaine crainte ma lecture de Mathieu Bock-Côté, ayant soudainement un doute sur ma capacité intellectuelle à lire ce genre d’ouvrage. Quel soulagement de voir qu’il n’en est rien (en fait, presque rien… on ne se mentira pas quand même, un dictionnaire est de rigueur !). L’auteur explique obligatoirement certains principes philosophiques, mais de façon structurée et (relativement) simple. Lors de la lecture du premier chapitre, je ne pouvais m’empêcher de penser à 1984 de Georges Orwell, livre auquel je pense souvent. Et voilà, soudainement, l’auteur en fait mention (à plusieurs reprises d’ailleurs au cours du livre) ! Sincèrement, je suggère très fortement de lire 1984 avant de lire L’empire du politiquement correct. Le parallèle que nous expose Bock-Côté entre la réalité du « bienpensant » d’aujourd’hui et celle de l’œuvre d’Orwell de 1958 (un visionnaire) est troublant.
Vient ensuite le chapitre concernant le clivage gauche-droite et tout ce que cela comporte. Il cite certes des philosophes, mais sans insister trop sur le sujet. J’ai trouvé ce chapitre très intéressant, surtout quand on tente d’appliquer le système gauche-droite à sa propre ligne de pensée. Je me permets ici quelques extraits :
« Le clivage gauche-droite se renouvelle […]. Sans cesse, il change d’objet, sans cesse il s’empare d’une nouvelle question à partir de laquelle il divisera la société en deux, en marquant un camp positivement et l’autre négativement. Surtout, d’une époque à l’autre, le clivage gauche-droite peut se déplacer d’une thématique générale à une autre, en se définissant d’abord par l’économie, le social et aujourd’hui, par l’identitaire et le sociétal. »
« Par ailleurs, on constate qu’un homme hier marqué au centre droit passera aujourd’hui à droite, et demain peut-être même à l’extrême-droite, par le simple déplacement du point de gravité idéologique de l’espace public vers la gauche. »
« Être de gauche consiste à avoir raison même lorsqu’on a tort, parce qu’on se trompe alors pour de justes raisons. Être de droite consiste à avoir tort même lorsqu’on a eu raison, car on aura eu raison pour des raisons idéologiques inadmissibles, intraduisibles dans la logique de l’émancipation. »
« Il en est de même de la liberté d’expression dont la défense ne devient légitime qu’une fois qu’elle est reprise par la gauche. En fait, il faut qu’un terme passe à gauche pour devenir légitime […] pour qu’il devienne digne de considération et soit admis dans la conversation publique. »
Malheureusement, le politiquement correct nous force à choisir un camp défini, sans aucune nuance. Nous faisons soit partie des justes soit des vilains. On passe de l’un à l’autre, sans que notre pensée ait réellement changé, car on nous déporte au gré des changements du jour.
Bock-Côté a bien su cerner adéquatement l’arrogance complaisante du Canada qui se considère maintenant, par sa politique du multiculturalisme extrême, non seulement comme le meilleur pays du monde, mais également comme le représentant de la prochaine étape dans l’histoire de l’humanité.
« […] l’identité national serait un refuge imaginaire qu’il faudrait déconstruire pour que s’expriment enfin des sociétés plurielles. La trace du peuple devrait être effacée pour qu’on ne la retrouve plus. »
En fait, toute réalité historique relativement au peuple est considérée comme racisme, point final. C’est le multiculturalisme total ou rien du tout. Les zones grises sont proscrites. Comme le dit l’auteur (je résume ici librement son propos qui s’étend sur plusieurs sous-sections), le politiquement correct s’est « scientifiquement » radicalisé, déclarant que toute civilisation, peu importe les barbaries qu’elle commet contre les droits de l’homme, est conforme au droit de sa propre identité, contrairement à ce qui concerne les civilisations européenne et américaine, qui n’ont de droit que de s’effacer et de s’excuser bien bas d’exister, et dont l’identité est frappée « d’illégitimité congénitale ». La haine de l’Occident est acceptable, légitime et encouragée. La conscience historique des peuples occidentaux n’est rien d’autre qu’une entreprise exterminatrice à grande échelle, ce qui obligerait la civilisation occidentale à un repentir permanent.
J’ai trouvé qu’il y avait, à quelques endroits, un peu trop de référence à la France et à leurs philosophes et j’aurais aimé que ces passages soient plus axés sur ce qui se passe au Québec (et probablement qu’en retour, les Français diront qui s’y retrouve trop du Québec et du Canada et pas assez de la France !). Toutefois, cela s’explique probablement par le fait que, comme l’explique l’auteur, c’est en France que ce type débat identitaire est le plus intellectualisé. La majeure partie des autres chapitres traite plutôt de l’Amérique du Nord (en grande partie du moins).
Quelques sections étaient un peu trop philosophiques à mon gout ; elles alourdissaient le texte et tenaient plus du théorique que du concret, principalement le chapitre six (Le sentiment de la fin d’un monde ou la criminalisation de la nostalgie), qui était heureusement assez court. Cependant, c’est plutôt habituel pour un ouvrage de ce genre et ça ne m’a pas empêché d’apprécier la majeure partie de l’œuvre. Notez que je ne marque qu’ici que ma propre préférence.
Bien que ce livre soit pour monsieur et madame tout le monde (et les autres — restons politiquement corrects tout de même !) ayant un minimum d’éducation, ce n’est quand même pas une lecture légère. Cela dit, cet ouvrage dépeint bien notre réalité, où nos efforts pour éliminer toute forme de raciste ou de discrimination se sont transformés en intolérance. Le multiculturalisme qui devait pourtant nous rallier nous a ghettoïsés au sein d’une société où le racisme antiblanc est considéré non pas comme du racisme, mais comme un droit légitime. Une société où un traducteur blanc n’a pas le droit de traduire le poème d’une femme noire [article ici] — puisqu’il s’agirait là d’une appropriation culturelle —, où un dramaturge blanc n’a pas le droit de mettre en scène une pièce parlant d’esclavage [article ici], où une journaliste blanche ne peut pas mentionner le mot « nigger » (dans le cadre d’une citation) ou même mentionner le titre de l’œuvre « Nègres blancs d’Amérique » dans des réunions de travail [article ici], et plusieurs autres exemples dont certains cités par Bock-Côté, comme le retrait d’un cours de yoga par l’Université d’Ottawa, car cette activité constituerait de « l’appropriation culturelle » d’une pratique spirituelle de l’Inde [article ici]… Quand on dit que le ridicule ne tue pas…
Je me permets de sortir du contexte de cette critique pour citer Richard Martineau dans son article « L’obsession identitaire tue le vivre-ensemble » [article ici], une phrase qui résume bien la situation :
« On n’a jamais autant parléde vivre-ensemble, mais on n’a jamais autant vécu séparés, chacun dans son coin. »
J’ai bon espoir qu’avec le temps tout le monde finira par mettre de l’eau dans son vin (sauf à la SAQ et au LCBO j’espère !) et comprendra que le vivre-ensemble n’est pas constitué de la haine de la majorité (qu’elle soit raciale ou identitaire), mais bien de l’abolition de toute forme de discrimination envers les autres sans pour autant éliminer toute forme d’attache culturelle ou identitaire. Il faut aller vers le futur sans tenter pour autant de détruire et de déconstruire le passé qui nous a forgés.
Je laisse le dernier mot à Mathieu Bock-Côté :
« Il importe […] de ramener la démocratie sur terre, de la reconstituer comme un espace de délibération dont les finalités ne sont pas prédéterminées par les gardiens autoproclamés du pensable et de l’acceptable. »
Retranchées dans des cités qui tirent leur nom de la légende biblique – Puissance Divine, Bethléem – des gangs de bandits pillent, violent et assassinent, en toute impunité. Celia, adolescente, cherche à survivre, tantôt en se prostituant, tantôt en faisant la chronique des femmes de la cité sur les réseaux sociaux, où elle devient influenceuse. Les villages de Dieu dit l’effondrement et la banalité du mal dans cette ville de Port-au-Prince livrée à ses démons.
Critique de l’œuvre
Non, ce livre n’est pas religieux, bien qu’il soit en effet plutôt loin de mon style de lecture habituel. J’ai acheté ce roman en version électronique après avoir lu un article de Dany Laferrière paru à la suite de l’assassinat du président haïtien. Bien que ce soit à la base un roman, l’autrice, Emmelie Prophète, nous transporte dans la réalité des bidonvilles de Port-au-Prince où la vie passe sans réel espoir, sans ambition autre que celle de survivre au mieux. Ce roman est écrit avec à la fois une urgence dans le texte, une impatience accompagnée d’une douce résignation. Il nous décrit le quotidien de gens certes fictifs, mais le sont-ils vraiment ? Quelque part, ce coup d’œil dans la vie de Celia est empreint d’une dure réalité.
Durant ma lecture, j’ai fait de petites recherches sur le présent d’Haïti — des photographies, des promenades en « GoPro » au centre-ville de Port-au-Prince, des articles qui semblent tout juste sortis du roman tellement ils dépeignent une réalité similaire — et je me suis trouvée EXTRÊMEMENT privilégiée de vivre ici, dans un environnement sécuritaire et propre, où je peux me promener sans avoir peur de finir sur la trajectoire d’une balle perdue.
Verdict C’est un livre à lire pour découvrir tout au long du récit fictif de Celia et de ses voisins la réalité que vivent les Haïtiens, certes, mais également — on peut le supposer sans risque d’erreur, je crois — d’autres peuples pour lesquels il semble que la vie est pénible dès la naissance, où la misère n’est pas un état temporaire, mais un quotidien, une normalité. On ne parle pas ici d’un coup dur, mais bien d’une existence complète dans la pauvreté, la violence, le désespoir. Un livre poignant à lire absolument.
Tout d’abord, ce livre doit se lire en gardant à l’esprit deux faits : premièrement, l’auteur a rédigé ce livre dans un court laps de temps en étant incarcéré dans une prison étatsunienne où il écrivait debout (appuyé sur le lit de l’étage supérieur) durant des heures à la musique très peu reposante des cris et du brouhaha constant. Deuxièmement, il est écrit par un jeune révolté de la génération du duplessisme et de révolution tranquille.
Deux préfaces écrites à quelques années d’intervalle, un avertissement de l’auteur et une présentation, on finit par avoir hâte que le livre commence comme tel (ou bien on se demande pourquoi on l’a acheté finalement !). L’auteur nous peint une histoire de la colonisation bien différente de ce que nous avons appris à l’école, c’est le moins que l’on puisse dire. Ce n’est toutefois pas nécessairement erroné ; les historiens nous disent bien ce qu’ils veulent bien nous dire selon leurs convictions — personnelles et politiques — et le but recherché par leur analyse. J’ai apprécié particulièrement la partie où l’auteur nous brosse un portrait honnête de son enfance, de son arrogance et de son égocentrisme face au jugement qu’il a sur ses parents et sur ses concitoyens d’infortunes. C’est une partie de l’histoire moderne du Québec qui n’est pas enseignée ; on doit lire des ouvrages — biographiques ou bien fictifs, mais basés sur l’histoire réelle — pour comprendre à quel point le Québec s’est développé tout de même rapidement entre les années 40 et 70. Toutefois, l’auteur m’a ensuite perdu avec des descriptions de différentes philosophies qui l’aidèrent (ou non !) à se comprendre et comprendre le monde qui l’entoure (j’ai même sauté presque tout un chapitre traitant de différentes théories philosophiques), ce qui me fit me poser la question suivante : cet homme était-il capable de penser par lui-même ou bien avait-il absolument besoin que d’autres personnes lui soufflent les réponses ?
J’en retiens que l’auteur était un homme éternellement insatisfait qui voyait seulement le négativisme qui l’entourait au lieu de tenter de transformer sa vie et celle de ceux qu’il côtoyait positivement et de se consacrer à ses études (même si les professeurs et les matières enseignées l’emmerdaient – il était tout de même un privilégié de pouvoir étudier) au lieu de passer des soirées à discuter inutilement de préceptes philosophiques et poétiques tout en crachant sur ses parents comme s’ils étaient de la crotte de chien sous un soulier. Ce n’est pas compliqué, il crache sur tout le monde : ceux qui sont nés avec une cuillère en argent dans la bouche, ceux qui ont réussi à s’élever au-dessus de leur condition à la sueur de leurs fronts, ses parents qui font du mieux qu’ils peuvent pour survivre tandis que lui, il s’invente une utopie irréalisable avec de grands principes théoriques sans même fournir une ligne de pensée concrète à savoir comment une telle société « idéale » pourrait fonctionner dans la vie de tous les jours. Il sauta d’une théorie à l’autre et se fit une nuisance de lui-même au lieu de créer un monde meilleur selon ce que LUI voulait changer. Ceci est mon opinion très personnelle, mais je n’ai aucun respect pour les beaux parleurs qui ne travaille pas à bâtir une société meilleure et qui ne pense qu’à la transformer aux moyens d’actes terroristes. Nous pouvons à la limite comprendre de tels gestes au sein d’un brutal régime dictatorial, mais pas au sein d’une démocratie — aussi imparfaite soit-elle — lorsque d’autres moyens s’offrent à nous ? C’est peut-être moins rapide et plus ardu d’y aller avec les moyens politiques du bord, mais je ne vois pas comment il espérait que ces actes terroristes aideraient LA cause.
En conclusion, ce livre m’a profondément déçu, peut-être parce que j’avais de trop grandes attentes — moi la profane de toutes théories philosophiques — sa renommée l’ayant précédé. Aussi, peut-être ai-je en cours de lecture les deux faits importants mentionnés en introduction, c’est-à-dire que c’est un livre engagé et, de ce fait, qu’il nous offre que la vision propre au but de l’écrit, et qu’il a été rédigé dans des conditions loin d’être idéal pour un ouvrage de cette profondeur.
Cela fait maintenant une année jour pour jour que mon quotidien ainsi que celui de la plus grande partie de la population mondiale fut bouleversé. La date ne fut pas la même pour tous, mais le 16 mars fut la mienne. Si ce n’était pas du fait que des gens meurent, que d’autres tombent malades à des stades plus ou moins graves selon les cas et que plusieurs souffrent toujours monétairement du grand C — la Covid, le Confinement, la Crise sanitaire — je dirais que cette pause de la vie communautaire est arrivée à point dans ma vie (comme quoi, parfois, le malheur des uns fait le bonheur des autres).
Petit retour de 365 jours et des poussières en arrière ; je couvre depuis déjà deux semaines pour une collègue et j’ai trois avocats à ma charge. Il faut aussi comprendre que j’ai couvert pour cette même collègue presque trois mois à l’automne précédent à cause de son opération au genou. Je suis fatiguée mentalement et physiquement, autant en raison de cette surcharge de travail que par le fait que la déprime hivernale est encore présente dans mon système. Le printemps pointe le bout de son nez, mais ce n’est pas encore ça. Je m’énerve facilement pour des broutilles et mon visage se parsème de plaques rouges au moindre stress. Pour ajouter à cette fébrilité que je ressens dans toutes les fibres de mon corps, on m’avise la veille que je devrai encore couvrir ma collègue pour deux semaines puisqu’elle revient du Mexique et que la quatorzaine était déclarée obligatoire au bureau à partir du lundi pour les gens revenant de l’étranger. Ce vendredi-là, le 13 mars, la goutte qui fait déborder un vase déjà tellement plein que quelques gouttes s’échappent déjà du rebord pour glisser jusqu’au plancher et nourrir une flaque sans fond. Il faut comprendre que je suis une personne logique qui déteste l’incompétence et l’inefficience ; j’ai alors un désaccord avec un membre de l’équipe de comptabilité à propos d’une série de procédures inutiles et sans fondement. On sait bien qu’il n’a que cela en comptabilité et qu’il ne sert à rien d’argumenter… mais bon, mon propre pragmatisme prend le bord et je « pète ma coche » comme on dit. Vous connaissez cette sensation, cette petite voix qui tente de vous raisonner lorsque vous savez pertinemment que vous faites une montagne d’un petit tas de poussière et que, malgré son sage conseil de prendre une grande respiration et de passer à un autre appel, vous vous entêtez à vous exciter jusqu’à en trembler de rage ? Eh bien, j’en étais là, au point où le plus sénior des trois avocats m’a fortement suggéré de prendre une fin de semaine de trois jours, bien qu’il n’y eût personne pour me couvrir durant cette journée de congé supplémentaire.
C’est vendredi treize, je ne pouvais pas échapper à la goutte de plus, mon vase débordant déjà comme une fontaine ; juste avant de partir, j’apprends par une avocate (qui trouve ça hilarant) que l’un des avocats avec qui je suis en contact très souvent revient d’un voyage aux États-Unis, mais qu’il ne fera pas la quatorzaine, car il arrive en voiture aujourd’hui et que notre règle de confinement ne commence officiellement que le lundi suivant (pied de nez à tous, mes amis !). On se rappelle que je dois pourtant couvrir pour une collègue qui doit faire la quatorzaine pour la même raison — le retour d’un voyage. J’appelle alors les ressources humaines pour me plaindre. Je ne veux pas attraper un virus parce qu’un avocat est considéré comme plus important qu’une adjointe et que, par conséquent, le virus le sait et il va bien sûr l’épargner, lui et tous ceux qui le côtoient (c’est intelligent ces petites bêtes-là !). Je débats avec eux en demandant combien de collègues revenant de voyage sont ainsi exemptées de l’obligation d’effectuer une quatorzaine grâce à leur statut supérieur sur la chaine alimentaire. Les discussions escaladent plus haut dans la hiérarchie, mais j’apprends le samedi matin que l’avocat a eu gain de cause. Je fais de l’anxiété toute la fin de semaine… pour rien au fond. C’est la débandade : les gouvernements ontarien et québécois mettent leurs provinces respectives en état d’alerte et je reçois un message du bureau : tout le monde est en arrêt le lundi tandis que la haute direction évalue ses options en urgence. Les jours suivants, l’équipe des TI s’arrache les cheveux pour brancher à distance plus de 1500 employés de soutien administratif et faire parvenir des ordinateurs à ceux qui n’ont pas l’équipement nécessaire à la maison. En quelques jours, nous sommes de nouveau fonctionnels à presque cent pour cent.
C’est la quatrième dimension ; le virus provenant de la Chine est désormais à nos portes. Ce n’est plus simplement une nouvelle internationale dont on prend distraitement connaissance avant de la balayer du revers de la main ; ça devient local, et ça, nous n’y sommes pas habitués. Le H1N1 était passé un peu plus de dix ans auparavant, mais, semble-t-il, un peu en coup de vent, rapidement maitrisé. Mais là, l’ouragan nous frappe de plein fouet et se sera long. À quel point ? On ne le sait pas encore à ce moment-là et nous pensons tous à quelques semaines voire quelques mois tout au plus. Quelle innocence !
Mon mari et moi faisons partie des chanceux, des privilégiés. Nous travaillons tous les deux dans des domaines qui nous permettent de continuer à travailler sans compressions salariales (moi pour un cabinet d’avocats et lui comme chauffeur-livreur de nourriture dans les épiceries). Notre quotidien est déjà un confinement en quelque sorte ; nous voyons peu de gens et restons le plus souvent chez nous de toute façon, nous ne souffrons donc pas de l’isolement obligatoire. Nous avons un grand terrain qui nous occupe et qui nous permet d’avoir de l’espace de mouvement. Pour moi, cette vacance de mes collègues (et les deux mois de baisse de régime qui suivent la mise en pause d’une partie de la population mondiale) est l’équivalent d’une cure de repos ; il ne faut pas se mentir, j’étais au bord du surmenage professionnel.
On regarde les nouvelles, les gens sont quand même optimistes, on voit des arcs-en-ciel et des « Ça va bien allez » apparaitre aux fenêtres des résidences, des commerces et sur la voie publique. À Infoman, les gens essayent d’en rire un peu et de voir un côté positif en proposant des activités abracadabrantes à exécuter à la maison afin de faire de l’exercice et de divertir les enfants qui tournent en rond, parfois dans de petits appartements pas plus grands que la paume de ma main. Rendu à l’été toutefois, on comprend bien qu’un retour à la vie d’avant est encore loin… plus qu’on l’aurait pensé. Comme nous l’a d’ailleurs dit à plusieurs reprises notre CEO, ce ne sera pas une course, mais un marathon. Il avait vu juste et on commence tous à en prendre conscience. Mon mari et moi prévoyons le coup : nous commençons les commandes d’épicerie en ligne (quelle belle invention !) afin d’éviter des contacts humains inutiles et je commence à consulter des sites preppers*. On a beau ne pas être l’équivalent de la cigale qui danse tout l’été sans penser à l’avenir, on n’est tout de même pas la fourmi non plus et nous décidons d’y remédier quelque peu. On s’équipe de nourriture longue durée, on fait des réserves d’eau, on prépare des sacs d’évacuations d’urgence (même notre chatte Leeloo a son go bag !).
L’avantage d’être rivé à son ordinateur à la maison au lieu d’un cubicule sans fenêtre est que je peux voir à l’extérieur et adopter un rythme plus lent puisque je n’ai pas de voyagement à faire. Je fais de grandes marches à travers le village durant l’heure du diner, je pratique quelques mouvements de taïchi pour me recentrer sur moi-même et éliminer complètement cette rage et cet épuisement qui m’habitent depuis plus longtemps que je ne l’aurais pensé, je soigne mon esprit abimé (je commence tout juste à ressentir tous les bénéfices de cette pause d’un an de la vie communautaire dont je n’échappe pas au bureau ; j’en avais besoin on dirait !). Je garde de belles images dans ma tête afin de pouvoir les ramener à la surface plus tard lors des moments de stress, comme cette fois lors d’une journée ensoleillée de juin où, faisant mon taïchi dans ma cour arrière (qui fait face à un grand champ, aucune maison à l’horizon) une brise de vent emporte des fleurs de mes deux pommiers en une danse joyeuse autour de moi ; magique !
L’automne arrive (plutôt gris et morne) et les gens commencent à devenir plus agressifs lorsque les restrictions se multiplient et que les masques deviennent obligatoires. Qui aurait cru, un an auparavant, qu’être en groupe de dix personnes chez soi, de faire une visite à ses parents, frères et sœurs, de se tenir à moins de deux mètres de distance de quelqu’un, ou encore de se promener en sens inverse des flèches dans un commerce ou de ne pas mettre un masque couvrant une partie de notre visage dans un lieu public seraient vu comme infraction ? Pas nous, les Canadiens. Ce genre de truc n’arrive que dans les autres pays, pas dans celui des libertés ! On a de la difficulté à comprendre, à s’adapter et, surtout, à obéir. Les affiches d’arc-en-ciel dans les fenêtres se décolorent et se décollent, celles se trouvant à l’extérieur s’envolent au vent en compagnie des feuilles mortes des arbres. Je ne sais pas si c’est un effet secondaire des restrictions qui pleuvent sur nous, mais nous voyons également apparaitre des restrictions dans la liberté d’expression même ; certaines personnes, groupes, médias (appelons-les « wokes »), nous forcent à penser et à nous exprimer d’une certaine façon, sans distinction ni nuance, à défaut de quoi on est catégorisé. C’est d’ailleurs dans cet environnement malsain de la parole et de la pensée correctes obligatoires que j’ai lu le classique 1984 de George Orwell, dont j’ai d’ailleurs fait une critique.
Ici dans mon petit village de l’est de l’Ontario, nous sommes en quelque sorte protégés de toute cette folie. Les gens mettent leurs masques sans chigner, ils essayent le plus possible de se tenir à distance dans les commerces (mais ce n’est bien sûr pas toujours possible), on ne fait pas de crise si un commerçant nous demande de bien vouloir nous laver les mains ou de les désinfecter avant d’entrer dans son commerce, on se dit « bonjour » d’un sourire et d’un signe de tête lorsqu’on prend une marche à l’extérieur — même si l’un des deux marcheurs doit aller dans la rue pour respecter la distanciation physique — on est à environ cinquante kilomètres de la « grande ville » la plus proche, où se trouvent les énervés. Nous, on tente simplement de soutirer le meilleur de la situation sans faire de vagues, puisqu’au fond on est tous dans le même bain, aussi bien s’aider à nager au lieu d’essayer de se noyer mutuellement pour un oui ou un non.
Certains m’ont demandé si je redoutais le retour au travail après avoir travaillé si longtemps de la maison. La réponse est non, je n’ai aucune appréhension. Je sais que mon employeur demandera un retour au travail pour tous les employés que lorsque ce sera sécuritaire de le faire. Je prends conscience tous les jours de la chance que j’aie et je garde une routine de travail depuis le début ; je n’en suis pas à mon premier rodéo à travailler à partir de mon domicile. Les deux premières semaines du retour seront plus difficiles, bien sûr. Me remettre à conduire cent kilomètres par jour, dont une partie dans la circulation de l’heure de pointe du centre-ville, arriver à la maison à l’heure où, depuis un an, j’ai déjà terminé de souper, côtoyer des dizaines de personnes tous les jours… ce sera une réadaptation, c’est certain. Toutefois, je n’ai aucune anxiété à cette perspective parce que ce retour à la normale voudra également dire que nous avons finalement traversé la tempête et que nous en sommes sortis transformés. En tous cas, moi, j’en serai sortie transformée, autant au niveau personnel que professionnel.
Encore une fois, je cite notre CEO : ce sera un retour au « nouveau normal ». On ne sait pas encore de quoi il sera fait, mais notre vie d’avant est loin derrière et nous devrons faire face à de nouvelles réalités, quelles qu’elles soient. Un mode d’hygiène plus draconien dans les lieux publics, garder une certaine distanciation physique, moins d’embrassades ou de poignées de mains non nécessaires et, surtout, la réalisation que notre vie n’est pas acquise et que notre monde peut être mis sens dessus dessous d’un moment à l’autre. En tant que société, nous passerons à travers, mais ce ne sera pas sans conséquence. Nous fûmes chanceux : ce virus aurait pu être beaucoup plus dévastateur. Je crois aussi que le monde entier aura fait un bond en avant, chaque guerre ou tragédie apportant généralement son lot de positivité — comme si bien dit dans le film Vanilla Sky : « the sweet is never as sweet without the sour » (« le miel n’est pas vraiment le miel sans le vinaigre » dans la version française du film). Je suis convaincu (du moins, j’espère fortement) que les progrès technologiques résultant de cette distanciation physique et sociale recommandée — que ce soit les différents logiciels permettant la communication vidéo et le travail à distance, une augmentation du nombre de personnes étant connectées à l’Internet haute vitesse, la possibilité de commander en ligne et de ramasser aux magasins et restaurants locaux (communément appelé le « curbside pickup », soit le ramassage en bordure du trottoir) ou bien les avancées médicales grâce à l’ARN, qui permettront certainement de faire un bond dans le traitement d’autres virus, mais aussi de diverses maladies (ne pensons qu’au cancer, un autre C dont on voudrait bien se débarrasser) — sont là pour de bon. Si du positif ressort de cette attaque virale sur notre quotidien et nos vies, les pertes encourues n’auront pas été en vain. Mais il ne faudra pas s’assoir sur nos lauriers ; ne vous méprenez pas, ce ne sera pas le dernier coup dur que nous recevrons d’un virus… mais cette fois, il faudra qu’on soit prêt, autant d’un point de vue procédural, matériel que de celui de nos réactions individuelles devant l’adversité. Il faudra s’attendre à faire des sacrifices sans, cette fois, crier au complot ou au bris des libertés et faire comme bon nous semble au détriment de la sécurité des autres. C’est dans l’unité que nous vaincrons. Nous ne l’avons pas compris cette fois, mais c’est l’apprentissage fait de l’expérience provenant de l’inefficacité de notre attitude égocentrique passée qui démontrera notre intelligence collective à faire face à une future adversité.
* J’ai en grande partie consulté le site web Québec Preppers (comme dans tout cependant, il faut savoir en prendre et en laisser). Pour certains équipements de survie et de la nourriture très longue durée, je suggère également l’entreprise canadienne Total Prepare.